Monografias.com > Uncategorized
Descargar Imprimir Comentar Ver trabajos relacionados

Las flores del mal, por Charles Baudelaire (página 6)



Partes: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime

Tirés comme par un aimant,

Se retournent docilement

Et que je regarde en moi-même,

Je vois avec étonnement

Le feu de ses prunelles pâles,

Clairs fanaux, vivantes opales

Qui me contemplent fixement.

LII – Le Beau Navire

Je veux te raconter, ô molle enchanteresse!

Les diverses beautés qui parent ta jeunesse;

Je veux te peindre ta beauté,

Où l'enfance s'allie à la maturité.

Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,

Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,

Chargé de toile, et va roulant

Suivant un rhythme doux, et paresseux, et lent.

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,

Ta tête se pavane avec d'étranges grâces;

D'un air placide et triomphant

Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

Je veux te raconter, ô molle enchanteresse!

Les diverses beautés qui parent ta jeunesse;

Je veux te peindre ta beauté,

Où l'enfance s'allie à la maturité.

Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire,

Ta gorge triomphante est une belle armoire

Dont les panneaux bombés et clairs

Comme les boucliers accrochent des éclairs;

Boucliers provoquants, armés de pointes roses!

Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses,

De vins, de parfums, de liqueurs

Qui feraient délirer les cerveaux et les coeurs!

Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large

Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,

Chargé de toile, et va roulant

Suivant un rhythme doux, et paresseux, et lent.

Tes nobles jambes, sous les volants qu'elles chassent,

Tourmentent les désirs obscurs et les agacent,

Comme deux sorcières qui font

Tourner un philtre noir dans un vase profond.

Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules,

Sont des boas luisants les solides émules,

Faits pour serrer obstinément,

Comme pour l'imprimer dans ton coeur, ton amant.

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,

Ta tête se pavane avec d'étranges grâces;

D'un air placide et triomphant

Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

LIII – L'invitation au voyage

Mon enfant, ma soeur,

Songe à la douceur

D'aller là-bas

vivre ensemble!

Aimer à loisir,

Aimer et mourir

Au pays qui te ressemble!

Les soleils mouillés

De ces ciels brouillés

Pour mon esprit ont les charmes

Si mystérieux

De tes traîtres yeux,

Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,

Polis par les ans,

Décoreraient notre chambre;

Les plus rares fleurs

Mêlant leurs odeurs

Aux vagues senteurs de l'ambre,

Les riches plafonds,

Les miroirs profonds,

La splendeur orientale,

Tout y parlerait

A l'âme en secret

Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux

Dormir ces vaisseaux

Dont l'humeur est vagabonde;

C'est pour assouvir

Ton moindre désir

Qu'ils viennent du bout du monde.

Les soleils couchants

Revêtent les champs,

Les canaux, la ville entière,

D'hyacinthe et d'or;

Le monde s'endort

Dans une chaude lumière.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

LIV – L'Irréparable

Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords,

Qui vit, s'agite et se tortille

Et se nourrit de nous comme le ver des morts,

Comme du chêne la chenille?

Pouvons-nous étouffer l'implacable Remords?

Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane,

Noierons-nous ce vieil ennemi,

Destructeur et gourmand comme la courtisane,

Patient comme la fourmi?

Dans quel philtre? – dans quel vin? – dans quelle tisane?

Dis-le, belle sorcière, oh! dis, si tu le sais,

A cet esprit comblé d'angoisse

Et pareil au mourant qu'écrasent les blessés,

Que le sabot du cheval froisse,

Dis-le, belle sorcière, oh! dis, si tu le sais,

A cet agonisant que le loup déjà flaire

Et que surveille le corbeau,

A ce soldat brisé! s'il faut qu'il désespère

D'avoir sa croix et son tombeau;

Ce pauvre agonisant que déjà le loup flaire!

Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?

Peut-on déchirer des ténèbres

Plus denses que la poix, sans matin et sans soir,

Sans astres, sans éclairs funèbres?

Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?

L'Espérance qui brille aux carreaux de l'Auberge

Est soufflée, est morte à jamais!

Sans lune et sans rayons, trouver où l'on héberge

Les martyrs d'un chemin mauvais!

Le Diable a tout éteint aux carreaux de l'Auberge!

Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?

Dis, connais-tu l'irrémissible?

Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnés,

A qui notre coeur sert de cible?

Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?

L'Irréparable ronge avec sa dent maudite

Notre âme, piteux monument,

Et souvent il attaque ainsi que le termite,

Par la base le bâtiment.

L'Irréparable ronge avec sa dent maudite!

– J'ai vu parfois, au fond d'un théâtre banal

Qu'enflammait l'orchestre sonore,

Une fée allumer dans un ciel infernal

Une miraculeuse aurore;

J'ai vu parfois au fond d'un théâtre banal

Un être, qui n'était que lumière, or et gaze,

Terrasser l'énorme Satan;

Mais mon coeur, que jamais ne visite l'extase,

Est un théâtre où l'on attend

Toujours. toujours en vain, l'Etre aux ailes de gaze!

LV – Causerie

Vous êtes un beau ciel d'automne, clair et rose!

Mais la tristesse en moi monte comme la mer,

Et laisse, en refluant, sur ma lèvre morose

Le souvenir cuisant de son limon amer.

– Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme;

Ce qu'elle cherche, amie, est un lieu saccagé

Par la griffe et la dent féroce de la femme.

Ne cherchez plus mon coeur; les bêtes l'ont mangé.

Mon coeur est un palais flétri par la cohue;

On s'y soûle, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux!

– Un parfum nage autour de votre gorge nue!…

O Beauté, dur fléau des âmes, tu le veux!

Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes,

Calcine ces lambeaux qu'ont épargnés les bêtes!

LVI – Chant d'Automne

I

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres;

Adieu, vive clarté de nos étés trop courts!

J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres

Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l'hiver va rentrer dans mon être: colère,

Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,

Et, comme le soleil dans son enfer polaire,

Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé.

J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe

L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd.

Mon esprit est pareil à la tour qui succombe

Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

II me semble, bercé par ce choc monotone,

Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.

Pour qui? – C'était hier l'été; voici l'automne!

Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

II

J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,

Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est amer,

Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre,

Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

Et pourtant aimez-moi, tendre coeur! soyez mère,

Même pour un ingrat, même pour un méchant;

Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère

D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant.

Courte tâche! La tombe attend – elle est avide!

Ah! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,

Goûter, en regrettant l'été blanc et torride,

De l'arrière-saison le rayon jaune et doux!

LVII – A une Madone

Ex-voto dans le goût espagnol

Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,

Un autel souterrain au fond de ma détresse,

Et creuser dans le coin le plus noir de mon coeur,

Loin du désir mondain et du regard moqueur,

Une niche, d'azur et d'or tout émaillée,

Où tu te dresseras, Statue émerveillée.

Avec mes Vers polis, treillis d'un pur métal

Savamment constellé de rimes de cristal

Je ferai pour ta tête une énorme Couronne;

Et dans ma Jalousie, ô mortelle Madone

Je saurai te tailler un Manteau, de façon

Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,

Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes,

Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes!

Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,

Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,

Aux pointes se balance, aux vallons se repose,

Et revêt d'un baiser tout ton corps blanc et rose.

Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers

De satin, par tes pieds divins humiliés,

Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte

Comme un moule fidèle en garderont l'empreinte.

Si je ne puis, malgré tout mon art diligent

Pour Marchepied tailler une Lune d'argent

Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles

Sous tes talons, afin que tu foules et railles

Reine victorieuse et féconde en rachats

Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.

Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges

Devant l'autel fleuri de la Reine des Vierges

Etoilant de reflets le plafond peint en bleu,

Te regarder toujours avec des yeux de feu;

Et comme tout en moi te chérit et t'admire,

Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,

Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,

En Vapeurs montera mon Esprit orageux.

Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,

Et pour mêler l'amour avec la barbarie,

Volupté noire! des sept Péchés capitaux,

Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux

Bien affilés, et comme un jongleur insensible,

Prenant le plus profond de ton amour pour cible,

Je les planterai tous dans ton Coeur pantelant,

Dans ton Coeur sanglotant, dans ton Coeur ruisselant!

LVIII – Chanson d'Après-midi

Quoique tes sourcils méchants

Te donnent un air étrange

Qui n'est pas celui d'un ange,

Sorcière aux yeux alléchants,

Je t'adore, ô ma frivole,

Ma terrible passion!

Avec la dévotion

Du prêtre pour son idole.

Le désert et la forêt

Embaument tes tresses rudes,

Ta tête a les attitudes

De l'énigme et du secret.

Sur ta chair le parfum rôde

Comme autour d'un encensoir;

Tu charmes comme le soir

Nymphe ténébreuse et chaude.

Ah! les philtres les plus forts

Ne valent pas ta paresse,

Et tu connais la caresse

Ou fait revivre les morts!

Tes hanches sont amoureuses

De ton dos et de tes seins,

Et tu ravis les coussins

Par tes poses langoureuses.

Quelquefois, pour apaiser

Ta rage mystérieuse,

Tu prodigues, sérieuse,

La morsure et le baiser;

Tu me déchires, ma brune,

Avec un rire moqueur,

Et puis tu mets sur mon coeur

Ton oeil doux comme la lune.

Sous tes souliers de satin,

Sous tes charmants pieds de soie

Moi, je mets ma grande joie,

Mon génie et mon destin,

Mon âme par toi guérie,

Par toi, lumière et couleur!

Explosion de chaleur

Dans ma noire Sibérie!

LIX – Sisina

Imaginez Diane en galant équipage,

Parcourant les forêts ou battant les halliers,

Cheveux et gorge au vent, s'enivrant de tapage,

Superbe et défiant les meilleurs cavaliers!

Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage,

Excitant à l'assaut un peuple sans souliers,

La joue et l'oeil en feu, jouant son personnage,

Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers?

Telle la Sisina! Mais la douce guerrière

A l'âme charitable autant que meurtrière;

Son courage, affolé de poudre et de tambours,

Devant les suppliants sait mettre bas les armes,

Et son coeur, ravagé par la flamme, a toujours,

Pour qui s'en montre digne, un réservoir de larmes.

LX – Franciscae meae laudes

Novis te cantabo chordis,

O novelletum quod ludis

In solitudine cordis.

Esto sertis implicata,

O femina delicata

Per quam solvuntur peccata!

Sicut beneficum Lethe,

Hauriam oscula de te,

Quae imbuta es magnete.

Quum vitiorum tempegtas

Turbabat omnes semitas,

Apparuisti, Deitas,

Velut stella salutaris

In naufragiis amaris…..

Suspendam cor tuis aris!

Piscina plena virtutis,

Fons æternæ juventutis

Labris vocem redde mutis!

Quod erat spurcum, cremasti;

Quod rudius, exaequasti;

Quod debile, confirmasti.

In fame mea taberna

In nocte mea lucerna,

Recte me semper guberna.

Adde nunc vires viribus,

Dulce balneum suavibus

Unguentatum odoribus!

Meos circa lumbos mica,

O castitatis lorica,

Aqua tincta seraphica;

Patera gemmis corusca,

Panis salsus, mollis esca,

Divinum vinum, Francisca!

LXI – A une Dame créole

Au pays parfumé que le soleil caresse,

J'ai connu, sous un dais d'arbres tout empourprés

Et de palmiers d'où pleut sur les yeux la paresse,

Une dame créole aux charmes ignorés.

Son teint est pâle et chaud; la brune enchanteresse

A dans le cou des airs noblement maniérés;

Grande et svelte en marchant comme une chasseresse,

Son sourire est tranquille et ses yeux assurés.

Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire,

Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire,

Belle digne d'orner les antiques manoirs,

Vous feriez, à l'abri des ombreuses retraites

Germer mille sonnets dans le coeur des poètes,

Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.

LXII – Moesta et errabunda

Dis-moi ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe,

Loin du noir océan de l'immonde cité

Vers un autre océan où la splendeur éclate,

Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité?

Dis-moi, ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe?

La mer la vaste mer, console nos labeurs!

Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse

Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs,

De cette fonction sublime de berceuse?

La mer, la vaste mer, console nos labeurs!

Emporte-moi wagon! enlève-moi, frégate!

Loin! loin! ici la boue est faite de nos pleurs!

– Est-il vrai que parfois le triste coeur d'Agathe

Dise: Loin des remords, des crimes, des douleurs,

Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate?

Comme vous êtes loin, paradis parfumé,

Où sous un clair azur tout n'est qu'amour et joie,

Où tout ce que l'on aime est digne d'être aimé,

Où dans la volupté pure le coeur se noie!

Comme vous êtes loin, paradis parfumé!

Mais le vert paradis des amours enfantines,

Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,

Les violons vibrant derrière les collines,

Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets,

– Mais le vert paradis des amours enfantines,

L'innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,

Est-il déjà plus loin que l'Inde et que la Chine?

Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,

Et l'animer encor d'une voix argentine,

L'innocent paradis plein de plaisirs furtifs?

LXIII – Le Revenant

Comme les anges à l'oeil fauve,

Je reviendrai dans ton alcôve

Et vers toi glisserai sans bruit

Avec les ombres de la nuit;

Et je te donnerai, ma brune,

Des baisers froids comme la lune

Et des caresses de serpent

Autour d'une fosse rampant.

Quand viendra le matin livide,

Tu trouveras ma place vide,

Où jusqu'au soir il fera froid.

Comme d'autres par la tendresse,

Sur ta vie et sur ta jeunesse,

Moi, je veux régner par l'effroi.

LXIV – Sonnet d'Automne

Ils me disent, tes yeux, clairs comme le cristal:

"Pour toi, bizarre amant, quel est donc mon mérite?"

– Sois charmante et tais-toi! Mon coeur, que tout irrite,

Excepté la candeur de l'antique animal,

Ne veut pas te montrer son secret infernal,

Berceuse dont la main aux longs sommeils m'invite,

Ni sa noire légende avec la flamme écrite.

Je hais la passion et l'esprit me fait mal!

Aimons-nous doucement. L'Amour dans sa guérite,

Ténébreux, embusqué, bande son arc fatal.

Je connais les engins de son vieil arsenal:

Crime, horreur et folie! – O pâle marguerite!

Comme moi n'es-tu pas un soleil automnal,

O ma si blanche, ô ma si froide Marguerite?

LXV – Tristesses de la Lune

Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse;

Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins,

Qui d'une main distraite et légère caresse

Avant de s'endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,

Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,

Et promène ses yeux sur les visions blanches

Qui montent dans l'azur comme des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,

Elle laisse filer une larme furtive,

Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,

Aux reflets irisés comme un fragment d'opale,

Et la met dans son coeur loin des yeux du soleil.

LXVI – Les Chats

Les amoureux fervents et les savants austères

Aiment également, dans leur mûre saison,

Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,

Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté

Ils cherchent le silence et l'horreur des ténèbres;

L'Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,

S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes

Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,

Qui semblent s'endormir dans un rêve sans fin;

Leurs reins féconds sont pleins d'étincelles magiques,

Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin,

Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.

LXVII – Les Hiboux

Sous les ifs noirs qui les abritent

Les hiboux se tiennent rangés

Ainsi que des dieux étrangers

Dardant leur oeil rouge. Ils méditent.

Sans remuer ils se tiendront

Jusqu'à l'heure mélancolique

Où, poussant le soleil oblique,

Les ténèbres s'établiront.

Leur attitude au sage enseigne

Qu'il faut en ce monde qu'il craigne

Le tumulte et le mouvement;

L'homme ivre d'une ombre qui passe

Porte toujours le châtiment

D'avoir voulu changer de place.

LXVIII – La Pipe

Je suis la pipe d'un auteur;

On voit, à contempler ma mine

D'Abyssinienne ou de Cafrine,

Que mon maître est un grand fumeur.

Quand il est comblé de douleur,

Je fume comme la chaumine

Où se prépare la cuisine

Pour le retour du laboureur.

J'enlace et je berce son âme

Dans le réseau mobile et bleu

Qui monte de ma bouche en feu,

Et je roule un puissant dictame

Qui charme son coeur et guérit

De ses fatigues son esprit.

LXIX – La Musique

La musique souvent me prend comme une mer!

Vers ma pâle étoile,

Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,

Je mets à la voile;

La poitrine en avant et les poumons gonflés

Comme de la toile

J'escalade le dos des flots amoncelés

Que la nuit me voile;

Je sens vibrer en moi toutes les passions

D'un vaisseau qui souffre;

Le bon vent, la tempête et ses convulsions

Sur l'immense gouffre

Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir

De mon désespoir!

LXX – Sépulture

Si par une nuit lourde et sombre

Un bon chrétien, par charité,

Derrière quelque vieux décombre

Enterre votre corps vanté,

A l'heure où les chastes étoiles

Ferment leurs yeux appesantis,

L'araignée y fera ses toiles,

Et la vipère ses petits;

Vous entendrez toute l'année

Sur votre tête condamnée

Les cris lamentables des loups

Et des sorcières faméliques,

Les ébats des vieillards lubriques

Et les complots des noirs filous.

LXXI – Une gravure fantastique

Ce spectre singulier n'a pour toute toilette,

Grotesquement campé sur son front de squelette,

Qu'un diadème affreux sentant le carnaval.

Sans éperons, sans fouet, il essouffle un cheval,

Fantôme comme lui, rosse apocalyptique,

Qui bave des naseaux comme un épileptique.

Au travers de l'espace ils s'enfoncent tous deux,

Et foulent l'infini d'un sabot hasardeux.

Le cavalier promène un sabre qui flamboie

Sur les foules sans nom que sa monture broie,

Et parcourt, comme un prince inspectant sa maison,

Le cimetière immense et froid, sans horizon,

Où gisent, aux lueurs d'un soleil blanc et terne,

Les peuples de l'histoire ancienne et moderne.

LXXII – Le Mort joyeux

Dans une terre grasse et pleine d'escargots

Je veux creuser moi-même une fosse profonde,

Où je puisse à loisir étaler mes vieux os

Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde.

Je hais les testaments et je hais les tombeaux;

Plutôt que d'implorer une larme du monde,

Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeaux

A saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.

O vers! noirs compagnons sans oreille et sans yeux,

Voyez venir à vous un mort libre et joyeux;

Philosophes viveurs, fils de la pourriture,

A travers ma ruine allez donc sans remords,

Et dites-moi s'il est encor quelque torture

Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts!

LXXIII – Le Tonneau de la Haine

La Haine est le tonneau des pâles Danaïdes;

La Vengeance éperdue aux bras rouges et forts

A beau précipiter dans ses ténèbres vides

De grands seaux pleins du sang et des larmes des morts,

Le Démon fait des trous secrets à ces abîmes,

Par où fuiraient mille ans de sueurs et d'efforts,

Quand même elle saurait ranimer ses victimes,

Et pour les pressurer ressusciter leurs corps.

La Haine est un ivrogne au fond d'une taverne,

Qui sent toujours la soif naître de la liqueur

Et se multiplier comme l'hydre de Lerne.

– Mais les buveurs heureux connaissent leur vainqueur,

Et la Haine est vouée à ce sort lamentable

De ne pouvoir jamais s'endormir sous la table.

LXXIV – La cloche fêlée

II est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,

D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,

Les souvenirs lointains lentement s'élever

Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.

Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux

Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,

Jette fidèlement son cri religieux,

Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente!

Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis

Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,

II arrive souvent que sa voix affaiblie

Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie

Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts

Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.

LXXV – Spleen

Pluviôse, irrité contre la ville entière,

De son urne à grands flots verse un froid ténébreux

Aux pâles habitants du voisin cimetière

Et la mortalité sur les faubourgs brumeux.

Mon chat sur le carreau cherchant une litière

Agite sans repos son corps maigre et galeux;

L'âme d'un vieux poète erre dans la gouttière

Avec la triste voix d'un fantôme frileux.

Le bourdon se lamente, et la bûche enfumée

Accompagne en fausset la pendule enrhumée

Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums,

Héritage fatal d'une vieille hydropique,

Le beau valet de coeur et la dame de pique

Causent sinistrement de leurs amours défunts.

LXXVI – Spleen

J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,

De vers, de billets doux, de procès, de romances,

Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,

Cache moins de secrets que mon triste cerveau.

C'est une pyramide, un immense caveau,

Qui contient plus de morts que la fosse commune.

– Je suis un cimetière abhorré de la lune,

Où comme des remords se traînent de longs vers

Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.

Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,

Où gît tout un fouillis de modes surannées,

Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher

Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché.

Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,

Quand sous les lourds flocons des neigeuses années

L'ennui, fruit de la morne incuriosité,

Prend les proportions de l'immortalité.

– Désormais tu n'es plus, ô matière vivante!

Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,

Assoupi dans le fond d'un Sahara brumeux;

Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,

Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche

Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.

LXXVII – Spleen

Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,

Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux,

Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes,

S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes.

Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,

Ni son peuple mourant en face du balcon.

Du bouffon favori la grotesque ballade

Ne distrait plus le front de ce cruel malade;

Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,

Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,

Ne savent plus trouver d'impudique toilette

Pour tirer un souris de ce jeune squelette.

Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu

De son être extirper l'élément corrompu,

Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,

Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,

II n'a su réchauffer ce cadavre hébété

Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé

LXXVIII – Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,

Et que de l'horizon embrassant tout le cercle

II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Quand la terre est changée en un cachot humide,

Où l'Espérance, comme une chauve-souris,

S'en va battant les murs de son aile timide

Et se cognant la tête à des plafonds pourris;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées

D'une vaste prison imite les barreaux,

Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées

Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie

Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,

Ainsi que des esprits errants et sans patrie

Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

– Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,

Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,

Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,

Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

LXXIX – Obsession

Grands bois, vous m'effrayez comme des cathédrales;

Vous hurlez comme l'orgue; et dans nos coeurs maudits,

Chambres d'éternel deuil où vibrent de vieux râles,

Répondent les échos de vos De profundis.

Je te hais, Océan! tes bonds et tes tumultes,

Mon esprit les retrouve en lui; ce rire amer

De l'homme vaincu, plein de sanglots et d'insultes,

Je l'entends dans le rire énorme de la mer

Comme tu me plairais, ô nuit! sans ces étoiles

Dont la lumière parle un langage connu!

Car je cherche le vide, et le noir, et le nu!

Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles

Où vivent, jaillissant de mon oeil par milliers,

Des êtres disparus aux regards familiers.

LXXX – Le Goût du Néant

Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,

L'Espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur,

Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,

Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.

Résigne-toi, mon coeur; dors ton sommeil de brute.

Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur,

L'amour n'a plus de goût, non plus que la dispute;

Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte!

Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur!

Le Printemps adorable a perdu son odeur!

Et le Temps m'engloutit minute par minute,

Comme la neige immense un corps pris de roideur;

– Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur

Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute.

Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?

LXXXI – Alchimie de la Douleur

L'un t'éclaire avec son ardeur,

L'autre en toi met son deuil, Nature!

Ce qui dit à l'un: Sépulture!

Dit à l'autre: Vie et splendeur!

Hermès inconnu qui m'assistes

Et qui toujours m'intimidas,

Tu me rends l'égal de Midas,

Le plus triste des alchimistes;

Par toi je change l'or en fer

Et le paradis en enfer;

Dans le suaire des nuages

Je découvre un cadavre cher,

Et sur les célestes rivages

Je bâtis de grands sarcophages.

LXXXII – Horreur sympathique

De ce ciel bizarre et livide,

Tourmenté comme ton destin,

Quels pensers dans ton âme vide

Descendent? réponds, libertin.

– Insatiablement avide

De l'obscur et de l'incertain,

Je ne geindrai pas comme Ovide

Chassé du paradis latin.

Cieux déchirés comme des grèves

En vous se mire mon orgueil;

Vos vastes nuages en deuil

Sont les corbillards de mes rêves,

Et vos lueurs sont le reflet

De l'Enfer où mon coeur se plaît.

LXXXIII – L'Héautontimorouménos

A J.G.F.

Je te frapperai sans colère

Et sans haine, comme un boucher,

Comme Moïse le rocher

Et je ferai de ta paupière,

Pour abreuver mon Saharah

Jaillir les eaux de la souffrance.

Mon désir gonflé d'espérance

Sur tes pleurs salés nagera

Comme un vaisseau qui prend le large,

Et dans mon coeur qu'ils soûleront

Tes chers sanglots retentiront

Comme un tambour qui bat la charge!

Ne suis-je pas un faux accord

Dans la divine symphonie,

Grâce à la vorace Ironie

Qui me secoue et qui me mord

Elle est dans ma voix, la criarde!

C'est tout mon sang ce poison noir!

Je suis le sinistre miroir

Où la mégère se regarde.

Je suis la plaie et le couteau!

Je suis le soufflet et la joue!

Je suis les membres et la roue,

Et la victime et le bourreau!

Je suis de mon coeur le vampire,

– Un de ces grands abandonnés

Au rire éternel condamnés

Et qui ne peuvent plus sourire!

LXXXIV – L'Irrémédiable

I

Une Idée, une Forme, un Etre

Parti de l'azur et tombé

Dans un Styx bourbeux et plombé

Où nul oeil du Ciel ne pénètre;

Un Ange, imprudent voyageur

Qu'a tenté l'amour du difforme,

Au fond d'un cauchemar énorme

Se débattant comme un nageur,

Et luttant, angoisses funèbres!

Contre un gigantesque remous

Qui va chantant comme les fous

Et pirouettant dans les ténèbres;

Un malheureux ensorcelé

Dans ses tâtonnements futiles

Pour fuir d'un lieu plein de reptiles,

Cherchant la lumière et la clé;

Un damné descendant sans lampe

Au bord d'un gouffre dont l'odeur

Trahit l'humide profondeur

D'éternels escaliers sans rampe,

Où veillent des monstres visqueux

Dont les larges yeux de phosphore

Font une nuit plus noire encore

Et ne rendent visibles qu'eux;

Un navire pris dans le pôle

Comme en un piège de cristal,

Cherchant par quel détroit fatal

Il est tombé dans cette geôle;

– Emblèmes nets, tableau parfait

D'une fortune irrémédiable

Qui donne à penser que le Diable

Fait toujours bien tout ce qu'il fait!

II

Tête-à-tête sombre et limpide

Qu'un coeur devenu son miroir!

Puits de Vérité, clair et noir

Où tremble une étoile livide,

Un phare ironique, infernal

Flambeau des grâces sataniques,

Soulagement et gloire uniques,

– La conscience dans le Mal!

LXXXV – L'Horloge

Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,

Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi!

Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi

Se planteront bientôt comme dans une cible;

Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon

Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse;

Chaque instant te dévore un morceau du délice

A chaque homme accordé pour toute sa saison.

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde

Chuchote: Souviens-toi! – Rapide, avec sa voix

D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois,

Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!

Remember! Souviens-toi! prodigue! Esto memor!

(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)

Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues

Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or!

Souviens-toi que le Temps est un joueur avide

Qui gagne sans tricher, à tout coup! c'est la loi.

Le jour décroît; la nuit augmente; souviens-toi!

Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.

Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,

Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,

Où le Repentir même (oh! la dernière auberge!),

Où tout te dira Meurs, vieux lâche! il est trop tard!"

TABLEAUX PARISIENS

LXXXVI – Paysage

Je veux, pour composer chastement mes églogues,

Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,

Et, voisin des clochers écouter en rêvant

Leurs hymnes solennels emportés par le vent.

Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,

Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde;

Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,

Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.

II est doux, à travers les brumes, de voir naître

L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre

Les fleuves de charbon monter au firmament

Et la lune verser son pâle enchantement.

Je verrai les printemps, les étés, les automnes;

Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,

Je fermerai partout portières et volets

Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.

Alors je rêverai des horizons bleuâtres,

Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,

Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,

Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.

L'Emeute, tempêtant vainement à ma vitre,

Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;

Car je serai plongé dans cette volupté

D'évoquer le Printemps avec ma volonté,

De tirer un soleil de mon coeur, et de faire

De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

LXXXVII – Le Soleil

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures

Les persiennes, abri des sécrètes luxures,

Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés

Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,

Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime,

Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,

Trébuchant sur les mots comme sur les pavés

Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses,

Eveille dans les champs les vers comme les roses;

II fait s'évaporer les soucis vers le ciel,

Et remplit les cerveaux et les ruches le miel.

C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles

Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,

Et commande aux moissons de croître et de mûrir

Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir!

Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les villes,

II ennoblit le sort des choses les plus viles,

Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,

Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.

LXXXVIII – A une Mendiante rousse

Blanche fille aux cheveux roux,

Dont la robe par ses trous

Laisse voir la pauvreté

Et la beauté,

Pour moi, poète chétif,

Ton jeune corps maladif,

Plein de taches de rousseur,

A sa douceur.

Tu portes plus galamment

Qu'une reine de roman

Ses cothurnes de velours

Tes sabots lourds.

Au lieu d'un haillon trop court,

Qu'un superbe habit de cour

Traîne à plis bruyants et longs

Sur tes talons;

En place de bas troués

Que pour les yeux des roués

Sur ta jambe un poignard d'or

Reluise encor;

Que des noeuds mal attachés

Dévoilent pour nos péchés

Tes deux beaux seins, radieux

Comme des yeux;

Que pour te déshabiller

Tes bras se fassent prier

Et chassent à coups mutins

Les doigts lutins,

Perles de la plus belle eau,

Sonnets de maître Belleau

Par tes galants mis aux fers

Sans cesse offerts,

Valetaille de rimeurs

Te dédiant leurs primeurs

Et contemplant ton soulier

Sous l'escalier,

Maint page épris du hasard,

Maint seigneur et maint Ronsard

Epieraient pour le déduit

Ton frais réduit!

Tu compterais dans tes lits

Plus de baisers que de lis

Et rangerais sous tes lois

Plus d'un Valois!

– Cependant tu vas gueusant

Quelque vieux débris gisant

Au seuil de quelque Véfour

De carrefour;

Tu vas lorgnant en dessous

Des bijoux de vingt-neuf sous

Dont je ne puis, oh! Pardon!

Te faire don.

Va donc, sans autre ornement,

Parfum, perles, diamant,

Que ta maigre nudité,

O ma beauté!

LXXXIX – Le Cygne

A Victor Hugo

I

Andromaque, je pense à vous! Ce petit fleuve,

Pauvre et triste miroir où jadis resplendit

L'immense majesté de vos douleurs de veuve,

Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile,

Comme je traversais le nouveau Carrousel.

Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville

Change plus vite, hélas! que le coeur d'un mortel);

Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,

Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,

Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flaques,

Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.

Là s'étalait jadis une ménagerie;

Là je vis, un matin, à l'heure où sous les cieux

Froids et clairs le Travail s'éveille, où la voirie

Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,

Un cygne qui s'était évadé de sa cage,

Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,

Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.

Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec

Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,

Et disait, le coeur plein de son beau lac natal:

"Eau, quand donc pleuvras-tu? quand tonneras-tu, foudre?"

Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,

Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,

Vers le ciel ironique et cruellement bleu,

Sur son cou convulsif tendant sa tête avide

Comme s'il adressait des reproches à Dieu!

II

Paris change! mais rien dans ma mélancolie

N'a bougé! palais neufs, échafaudages, blocs,

Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie

Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

Aussi devant ce Louvre une image m'opprime:

Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,

Comme les exilés, ridicule et sublime

Et rongé d'un désir sans trêve! et puis à vous,

Andromaque, des bras d'un grand époux tombée,

Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,

Auprès d'un tombeau vide en extase courbée

Veuve d'Hector, hélas! et femme d'Hélénus!

Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique

Piétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,

Les cocotiers absents de la superbe Afrique

Derrière la muraille immense du brouillard;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve

Jamais, jamais! à ceux qui s'abreuvent de pleurs

Et tètent la Douleur comme une bonne louve!

Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs!

Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exile

Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor!

Je pense aux matelots oubliés dans une île,

Aux captifs, aux vaincus!… à bien d'autres encor!

XC – Les Sept Vieillards

A Victor Hugo

Fourmillante cité, cité pleine de rêves,

Où le spectre en plein jour raccroche le passant!

Les mystères partout coulent comme des sèves

Dans les canaux étroits du colosse puissant.

Un matin, cependant que dans la triste rue

Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,

Simulaient les deux quais d'une rivière accrue,

Et que, décor semblable à l'âme de l'acteur,

Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,

Je suivais, roidissant mes nerfs comme un héros

Et discutant avec mon âme déjà lasse,

Le faubourg secoué par les lourds tombereaux.

Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes

Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,

Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,

Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,

M'apparut. On eût dit sa prunelle trempée

Dans le fiel; son regard aiguisait les frimas,

Et sa barbe à longs poils, roide comme une épée,

Se projetait, pareille à celle de Judas.

II n'était pas voûté, mais cassé, son échine

Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,

Si bien que son bâton, parachevant sa mine,

Lui donnait la tournure et le pas maladroit

D'un quadrupède infirme ou d'un juif à trois pattes.

Dans la neige et la boue il allait s'empêtrant,

Comme s'il écrasait des morts sous ses savates,

Hostile à l'univers plutôt qu'indifférent.

Son pareil le suivait: barbe, oeil, dos, bâton, loques,

Nul trait ne distinguait, du même enfer venu,

Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques

Marchaient du même pas vers un but inconnu.

A quel complot infâme étais-je donc en butte,

Ou quel méchant hasard ainsi m'humiliait?

Car je comptai sept fois, de minute en minute,

Ce sinistre vieillard qui se multipliait!

Que celui-là qui rit de mon inquiétude

Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel

Songe bien que malgré tant de décrépitude

Ces sept monstres hideux avaient l'air éternel!

Aurais je, sans mourir, contemplé le huitième,

Sosie inexorable, ironique et fatal

Dégoûtant Phénix, fils et père de lui-même?

– Mais je tournai le dos au cortège infernal.

Exaspéré comme un ivrogne qui voit double,

Je rentrai, je fermai ma porte, épouvanté,

Malade et morfondu, l'esprit fiévreux et trouble,

Blessé par le mystère et par l'absurdité!

Vainement ma raison voulait prendre la barre;

La tempête en jouant déroutait ses efforts,

Et mon âme dansait, dansait, vieille gabarre

Sans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords!

XCI – Les Petites Vieilles

A Victor Hugo

I

Dans les plis sinueux des vieilles capitales,

Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements,

Je guette, obéissant à mes humeurs fatales,

Des êtres singuliers, décrépits et charmants.

Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,

Eponine ou Laïs! Monstres brisés, bossus

Ou tordus, aimons-les! ce sont encor des âmes.

Sous des jupons troués et sous de froids tissus

Ils rampent, flagellés par les bises iniques,

Frémissant au fracas roulant des omnibus,

Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,

Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus;

Ils trottent, tout pareils à des marionnettes;

Se traînent, comme font les animaux blessés,

Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes

Où se pend un Démon sans pitié! Tout cassés

Qu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille,

Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit;

Ils ont les yeux divins de la petite fille

Qui s'étonne et qui rit à tout ce qui reluit.

– Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles

Sont presque aussi petits que celui d'un enfant?

La Mort savante met dans ces bières pareilles

Un symbole d'un goût bizarre et captivant,

Et lorsque j'entrevois un fantôme débile

Traversant de Paris le fourmillant tableau,

Il me semble toujours que cet être fragile

S'en va tout doucement vers un nouveau berceau;

A moins que, méditant sur la géométrie,

Je ne cherche, à l'aspect de ces membres discords,

Combien de fois il faut que l'ouvrier varie

La forme de la boîte où l'on met tous ces corps.

– Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes,

Des creusets qu'un métal refroidi pailleta…

Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmes

Pour celui que l'austère Infortune allaita!

II

De Frascati défunt Vestale enamourée;

Prêtresse de Thalie, hélas! dont le souffleur

Enterré sait le nom; célèbre évaporée

Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,

Toutes m'enivrent; mais parmi ces êtres frêles

Il en est qui, faisant de la douleur un miel,

Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes:

Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu'au ciel!

L'une, par sa patrie au malheur exercée,

L'autre, que son époux surchargea de douleurs,

L'autre, par son enfant Madone transpercée,

Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs!

III

Ah! que j'en ai suivi de ces petites vieilles!

Une, entre autres, à l'heure où le soleil tombant

Ensanglante le ciel de blessures vermeilles,

Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc,

Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre,

Dont les soldats parfois inondent nos jardins,

Et qui, dans ces soirs d'or où l'on se sent revivre,

Versent quelque héroïsme au coeur des citadins.

Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle,

Humait avidement ce chant vif et guerrier;

Son oeil parfois s'ouvrait comme l'oeil d'un vieil aigle;

Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier!

IV

Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes,

A travers le chaos des vivantes cités,

Mères au coeur saignant, courtisanes ou saintes,

Dont autrefois les noms par tous étaient cités.

Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloires,

Nul ne vous reconnaît! un ivrogne incivil

Vous insulte en passant d'un amour dérisoire;

Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil.

Honteuses d'exister, ombres ratatinées,

Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs;

Et nul ne vous salue, étranges destinées!

Débris d'humanité pour l'éternité mûrs!

Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,

L'oeil inquiet, fixé sur vos pas incertains,

Tout comme si j'étais votre père, ô merveille!

Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins:

Je vois s'épanouir vos passions novices;

Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus;

Mon coeur multiplié jouit de tous vos vices!

Mon âme resplendit de toutes vos vertus!

Ruines! ma famille! ô cerveaux congénères!

Je vous fais chaque soir un solennel adieu!

Où serez-vous demain, Eves octogénaires,

Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu?

XCII – Les Aveugles

Contemple-les, mon âme; ils sont vraiment affreux!

Pareils aux mannequins; vaguement ridicules;

Terribles, singuliers comme les somnambules;

Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie,

Comme s'ils regardaient au loin, restent levés

Au ciel; on ne les voit jamais vers les pavés

Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,

Ce frère du silence éternel. O cité!

Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité,

Vois! je me traîne aussi! mais, plus qu'eux hébété,

Je dis: Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles?

XCIII – A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

Une femme passa, d'une main fastueuse

Soulevant, balançant le feston et l'ourlet;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.

Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,

Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit! – Fugitive beauté

Dont le regard m'a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l'éternité?

Ailleurs, bien loin d'ici! trop tard! jamais peut-être!

Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

O toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais!

XCIV – Le Squelette laboureur

I

Dans les planches d'anatomie

Qui traînent sur ces quais poudreux

Où maint livre cadavéreux

Dort comme une antique momie,

Dessins auxquels la gravité

Et le savoir d'un vieil artiste,

Bien que le sujet en soit triste,

Ont communiqué la Beauté,

On voit, ce qui rend plus complètes

Ces mystérieuses horreurs,

Bêchant comme des laboureurs,

Des Ecorchés et des Squelettes.

II

De ce terrain que vous fouillez,

Manants résignés et funèbres

De tout l'effort de vos vertèbres,

Ou de vos muscles dépouillés,

Dites, quelle moisson étrange,

Forçats arrachés au charnier,

Tirez-vous, et de quel fermier

Avez-vous à remplir la grange?

Voulez-vous (d'un destin trop dur

Epouvantable et clair emblème!)

Montrer que dans la fosse même

Le sommeil promis n'est pas sûr;

Qu'envers nous le Néant est traître;

Que tout, même la Mort, nous ment,

Et que sempiternellement

Hélas! il nous faudra peut-être

Dans quelque pays inconnu

Ecorcher la terre revêche

Et pousser une lourde bêche

Sous notre pied sanglant et nu?

XCV – Le Crépuscule du Soir

Voici le soir charmant, ami du criminel;

II vient comme un complice, à pas de loup; le ciel

Se ferme lentement comme une grande alcôve,

Et l'homme impatient se change en bête fauve.

O soir, aimable soir, désiré par celui

Dont les bras, sans mentir, peuvent dire: Aujourd'hui

Nous avons travaillé! – C'est le soir qui soulage

Les esprits que dévore une douleur sauvage,

Le savant obstiné dont le front s'alourdit,

Et l'ouvrier courbé qui regagne son lit.

Cependant des démons malsains dans l'atmosphère

S'éveillent lourdement, comme des gens d'affaire,

Et cognent en volant les volets et l'auvent.

A travers les lueurs que tourmente le vent

La Prostitution s'allume dans les rues;

Comme une fourmilière elle ouvre ses issues;

Partout elle se fraye un occulte chemin,

Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main;

Elle remue au sein de la cité de fange

Comme un ver qui dérobe à l'Homme ce qu'il mange.

On entend çà et là les cuisines siffler,

Les théâtres glapir, les orchestres ronfler;

Les tables d'hôte, dont le jeu fait les délices,

S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices,

Et les voleurs, qui n'ont ni trêve ni merci,

Vont bientôt commencer leur travail, eux aussi,

Et forcer doucement les portes et les caisses

Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses.

Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,

Et ferme ton oreille à ce rugissement.

C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent!

La sombre Nuit les prend à la gorge; ils finissent

Leur destinée et vont vers le gouffre commun;

L'hôpital se remplit de leurs soupirs. – Plus d'un

Ne viendra plus chercher la soupe parfumée,

Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

Encore la plupart n'ont-ils jamais connu

La douceur du foyer et n'ont jamais vécu!

XCVI – Le Jeu

Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles,

Pâles, le sourcil peint, l'oeil câlin et fatal,

Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles

Tomber un cliquetis de pierre et de métal;

Autour des verts tapis des visages sans lèvre,

Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent,

Et des doigts convulsés d'une infernale fièvre,

Fouillant la poche vide ou le sein palpitant;

Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres

Et d'énormes quinquets projetant leurs lueurs

Sur des fronts ténébreux de poètes illustres

Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs;

Voilà le noir tableau qu'en un rêve nocturne

Je vis se dérouler sous mon oeil clairvoyant.

Moi-même, dans un coin de l'antre taciturne,

Je me vis accoudé, froid, muet, enviant,

Enviant de ces gens la passion tenace,

De ces vieilles putains la funèbre gaieté,

Et tous gaillardement trafiquant à ma face,

L'un de son vieil honneur, l'autre de sa beauté!

Et mon coeur s'effraya d'envier maint pauvre homme

Courant avec ferveur à l'abîme béant,

Et qui, soûl de son sang, préférerait en somme

La douleur à la mort et l'enfer au néant!

XCVII – Danse macabre

A Ernest Christophe

Fière, autant qu'un vivant, de sa noble stature

Avec son gros bouquet, son mouchoir et ses gants

Elle a la nonchalance et la désinvolture

D'une coquette maigre aux airs extravagants.

Vit-on jamais au bal une taille plus mince?

Sa robe exagérée, en sa royale ampleur,

S'écroule abondamment sur un pied sec que pince

Un soulier pomponné, joli comme une fleur.

La ruche qui se joue au bord des clavicules,

Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher,

Défend pudiquement des lazzi ridicules

Les funèbres appas qu'elle tient à cacher.

Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,

Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,

Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.

O charme d'un néant follement attifé.

Aucuns t'appelleront une caricature,

Qui ne comprennent pas, amants ivres de chair,

L'élégance sans nom de l'humaine armature.

Tu réponds, grand squelette, à mon goût le plus cher!

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,

La fête de la Vie? ou quelque vieux désir,

Eperonnant encor ta vivante carcasse,

Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir?

Au chant des violons, aux flammes des bougies,

Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,

Et viens-tu demander au torrent des orgies

De rafraîchir l'enfer allumé dans ton coeur?

Inépuisable puits de sottise et de fautes!

De l'antique douleur éternel alambic!

A travers le treillis recourbé de tes côtes

Je vois, errant encor, l'insatiable aspic.

Pour dire vrai, je crains que ta coquetterie

Ne trouve pas un prix digne de ses efforts

Qui, de ces coeurs mortels, entend la raillerie?

Les charmes de l'horreur n'enivrent que les forts!

Le gouffre de tes yeux, plein d'horribles pensées,

Exhale le vertige, et les danseurs prudents

Ne contempleront pas sans d'amères nausées

Le sourire éternel de tes trente-deux dents.

Pourtant, qui n'a serré dans ses bras un squelette,

Et qui ne s'est nourri des choses du tombeau?

Qu'importe le parfum, l'habit ou la toilette?

Qui fait le dégoûté montre qu'il se croit beau.

Bayadère sans nez, irrésistible gouge,

Dis donc à ces danseurs qui font les offusqués:

"Fiers mignons, malgré l'art des poudres et du rouge

Vous sentez tous la mort! O squelettes musqués,

Antinoüs flétris, dandys à face glabre,

Cadavres vernissés, lovelaces chenus,

Le branle universel de la danse macabre

Vous entraîne en des lieux qui ne sont pas connus!

Des quais froids de la Seine aux bords brûlants du Gange,

Le troupeau mortel saute et se pâme, sans voir

Dans un trou du plafond la trompette de l'Ange

Sinistrement béante ainsi qu'un tromblon noir.

En tout climat, sous tout soleil, la Mort t'admire

En tes contorsions, risible Humanité

Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe,

Mêle son ironie à ton insanité!"

XCVIII – L'Amour du Mensonge

Quand je te vois passer, ô ma chère indolente,

Au chant des instruments qui se brise au plafond

Suspendant ton allure harmonieuse et lente,

Et promenant l'ennui de ton regard profond;

Quand je contemple, aux feux du gaz qui le colore,

Ton front pâle, embelli par un morbide attrait,

Où les torches du soir allument une aurore,

Et tes yeux attirants comme ceux d'un portrait,

Je me dis: Qu'elle est belle! et bizarrement fraîche!

Le souvenir massif, royale et lourde tour,

La couronne, et son coeur, meurtri comme une pêche,

Est mûr, comme son corps, pour le savant amour.

Es-tu le fruit d'automne aux saveurs souveraines?

Es-tu vase funèbre attendant quelques pleurs,

Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines,

Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs?

Je sais qu'il est des yeux, des plus mélancoliques,

Qui ne recèlent point de secrets précieux;

Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques,

Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux!

Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence,

Pour réjouir un coeur qui fuit la vérité?

Qu'importe ta bêtise ou ton indifférence?

Masque ou décor, salut! J'adore ta beauté.

XCIX

Je n'ai pas oublié, voisine de la ville,

Notre blanche maison, petite mais tranquille;

Sa Pomone de plâtre et sa vieille Vénus

Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus,

Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,

Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe

Semblait, grand oeil ouvert dans le ciel curieux,

Contempler nos dîners longs et silencieux,

Répandant largement ses beaux reflets de cierge

Sur la nappe frugale et les rideaux de serge.

C

La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse,

Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,

Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.

Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,

Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres,

Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres,

Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,

A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,

Tandis que, dévorés de noires songeries,

Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,

Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,

Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver

Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille

Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.

Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir

Calme, dans le fauteuil je la voyais s'asseoir,

Si, par une nuit bleue et froide de décembre,

Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,

Grave, et venant du fond de son lit éternel

Couver l'enfant grandi de son oeil maternel,

Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,

Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse?

CI – Brumes et Pluies

O fins d'automne, hivers, printemps trempés de boue,

Endormeuses saisons! je vous aime et vous loue

D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau

D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau.

Dans cette grande plaine où l'autan froid se joue,

Où par les longues nuits la girouette s'enroue,

Mon âme mieux qu'au temps du tiède renouveau

Ouvrira largement ses ailes de corbeau.

Rien n'est plus doux au coeur plein de choses funèbres,

Et sur qui dès longtemps descendent les frimas,

O blafardes saisons, reines de nos climats,

Que l'aspect permanent de vos pâles ténèbres,

– Si ce n'est, par un soir sans lune, deux à deux,

D'endormir la douleur sur un lit hasardeux.

CII – Rêve parisien

A Constantin Guys

I

De ce terrible paysage,

Tel que jamais mortel n'en vit,

Ce matin encore l'image,

Vague et lointaine, me ravit.

Le sommeil est plein de miracles!

Par un caprice singulier

J'avais banni de ces spectacles

Le végétal irrégulier,

Et, peintre fier de mon génie,

Je savourais dans mon tableau

L'enivrante monotonie

Du métal, du marbre et de l'eau.

Babel d'escaliers et d'arcades,

C'était un palais infini

Plein de bassins et de cascades

Tombant dans l'or mat ou bruni;

Et des cataractes pesantes,

Comme des rideaux de cristal

Se suspendaient, éblouissantes,

A des murailles de métal.

Non d'arbres, mais de colonnades

Les étangs dormants s'entouraient

Où de gigantesques naïades,

Comme des femmes, se miraient.

Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues,

Entre des quais roses et verts,

Pendant des millions de lieues,

Vers les confins de l'univers:

C'étaient des pierres inouïes

Et des flots magiques, c'étaient

D'immenses glaces éblouies

Par tout ce qu'elles reflétaient!

Insouciants et taciturnes,

Des Ganges, dans le firmament,

Versaient le trésor de leurs urnes

Dans des gouffres de diamant.

Architecte de mes féeries,

Je faisais, à ma volonté,

Sous un tunnel de pierreries

Passer un océan dompté;

Et tout, même la couleur noire,

Semblait fourbi, clair, irisé;

Le liquide enchâssait sa gloire

Dans le rayon cristallisé.

Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges

De soleil, même au bas du ciel,

Pour illuminer ces prodiges,

Qui brillaient d'un feu personnel!

Et sur ces mouvantes merveilles

Planait (terrible nouveauté!

Tout pour l'oeil, rien pour les oreilles!)

Un silence d'éternité.

II

En rouvrant mes yeux pleins de flamme

J'ai vu l'horreur de mon taudis,

Et senti, rentrant dans mon âme,

La pointe des soucis maudits;

Partes: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
 Página anterior Volver al principio del trabajoPágina siguiente 

Nota al lector: es posible que esta página no contenga todos los componentes del trabajo original (pies de página, avanzadas formulas matemáticas, esquemas o tablas complejas, etc.). Recuerde que para ver el trabajo en su versión original completa, puede descargarlo desde el menú superior.

Todos los documentos disponibles en este sitio expresan los puntos de vista de sus respectivos autores y no de Monografias.com. El objetivo de Monografias.com es poner el conocimiento a disposición de toda su comunidad. Queda bajo la responsabilidad de cada lector el eventual uso que se le de a esta información. Asimismo, es obligatoria la cita del autor del contenido y de Monografias.com como fuentes de información.

Categorias
Newsletter