Indice
1.
Introducción
3. Le jeu et les
joueurs
4.
Les r_gles du jeu de
balle
5.
La balle
6. Les
joueurs
7. Les sculptures du
terrain
8.
Les marqueurs
9. Les sculptures _
tenon
10.
Les anneaux
11. Les
panneaux
12. Le terrain et le
Cosmos
13. Le terrain, image du
Cosmos
14. Les structures associées aux
terrains
15.
Conclusion
16.
Bibliographie
17. Notas
Actualmente, Nicolas Balutet es profesor de espa_ol por
el "Lycée Marc Bloch" de Bischheim (Estrasburgo, Francia).
Especialista en Historia de la América
precolombina así como en Literatura hispanoamericana,
es el autor de varios artículos entre los cuales destaca
"Etude d’un document ethnographique: Le Popol Vuh et le jeu
de balle dans l’aire maya",
Cahiers Ethnologiques. Histoires et Cultures, "Sentiers sans
Maîtres", Bordeaux, n°21 (Nouvelle Série), 1999,
pp. 15-28. Está preparando un estudio sobre la homosexualidad
amerindia en las crónicas del Nuevo Mundo.
Résumé. _ Plus qu’un
simple sport, le jeu de balle tel qu’il était
pratiqué dans l’aire maya avant la conqu_te
espagnole, possédait une dimension religieuse. A travers
l’étude du mythe maya-quiché – le Popol Vuh –
et de divers éléments directement liés aux
terrains et au jeu, sont analysés ici trois aspects
fondamentaux du symbolisme du jeu de balle: l’importance
des astres – le Soleil et la Lune -, le cycle du ma_s et la
pratique du sacrifice par décapitation.
Resumen. _ Más que un deporte, el juego de
pelota practicado en el área maya antes de la conquista
espa_ola, poseía una dimensión religiosa. A
través del análisis del mito
maya-quiché – el Popol Vuh – y de diversos elementos
vinculados directamente a los terrenos y al juego, se analizan
aquí tres aspectos fundamentales del simbolismo del juego
de pelota: la importancia de los astros – el Sol y la Luna
-, el ciclo del maíz y el uso del sacrificio por
decapitación.
"The ballgame is a national pastime that is almost a
national religion. It is many things to many people. To the
school child it is only a game. To the gambler it is a system of
probabilities or odds arrived at after methodical consideration
of batting averages, left-handed pitchers, weather conditions,
and stadium construction. To the professional player it is a
business. To the coach it is a science. To the Americanist it is
a link with the past".
Charles Wicke
Le cél_bre anthropologue suédois Sigvald
Linné disait que "le passé est comme un livre o_ il
y a beaucoup de pages blanches et o_ d’autres sont
difficiles _ déchiffrer". C’est
précisément une de ces pages, intitulée "le
jeu de balle", que j’ai essayé de lire. Page
centrale, le jeu de balle constitue, pour reprendre
l’expression de Nicholas Hellmuth, une véritable
coupe transversale des cultures méso-américaines.
En effet, l’épigraphie, l’iconographie, la
cosmologie, l’archéoastronomie ou bien
l’architecture ne forment qu’une seule et m_me
équipe sur le terrain, faisant du jeu de balle le lieu de
rencontre des différents champs d’étude
d’une culture. Il ne s’agit donc pas seulement
d’un sport comme l’on serait tenté de penser
au premier abord. Bien que cette facette ait existé
_ c’est d’ailleurs le seul aspect qui
perdure de nos jours _, le jeu de balle était
une activité beaucoup plus complexe car il avait trait
directement _ la religion et aux idées cosmologiques des
peuples méso-américains. C’est sur ce point
que se centre la présente étude; autrement dit,
j’ai cherché _ définir le ou les symbolismes
du jeu de balle.
Comme la Méso-Amérique est une aire tr_s
importante, et indépendamment de préférences
personnelles, j’ai souhaité limiter mon travail _
l’étude du symbolisme du jeu de balle dans
l’aire maya. En effet, cette culture présente
l’évident avantage d’avoir traversé les
trois périodes fondamentales de l’Histoire de
l’Amérique préhispanique, c’est _ dire
le Préclassique, le Classique et le Postclassique. La
plupart des autres cultures méso-américaines
connurent une durée d’existence moindre et
occup_rent un espace plus réduit. L’aire maya permet
ainsi de pouvoir mieux apprécier les évolutions du
jeu.
Depuis une vingtaine d’années, les
connaissances relatives au jeu de balle tel qu’il
était pratiqué dans l’aire maya avant la
conqu_te espagnole ont sensiblement progressé tant par la
tenue de nombreux colloques et symposiums internationaux que par
les recherches archéologiques in situ. Bien que les
chercheurs nord-américains et mexicains aient
apporté l’essentiel de ces nouvelles données,
la France n’est cependant pas en reste car Eric Taladoire,
professeur _ l’U.F.R. d’Art et
d’Archéologie de l’Université de Paris
I, est, _ l’échelle mondiale, l’un des plus
éminents spécialistes du jeu de balle. Sa th_se
doctorale, publiée en 1981, reste d’ailleurs _ ce
jour l’analyse la plus compl_te sur le sujet.
Parmi ces nouveaux renseignements, j’utiliserai
principalement les données provenant de l’aire maya,
mais je ne m’interdirai pas, le cas échéant,
de faire appel _ celles d’autres peuples
méso-américains. Les ressemblances ou
différences pourront en effet _tre fort utiles. Notons
d’ailleurs que si le Mayab est riche en
éléments sculpturaux, il n’en va pas de m_me
pour les documents du type codex. L’étude des
données du Mexique central et de la côte orientale
aideront _ mieux cerner le jeu de balle.
Cet essai comprend trois parties: "Le jeu et les
joueurs" dans laquelle j’analyse essentiellement les
instruments et les v_tements des joueurs (balle, jougs, haches,
palmes, pierres _ main); une deuxi_me partie consacrée _
l’étude des quatre types de sculptures directement
liées aux terrains de jeu de balle; et enfin, "le terrain
et le Cosmos" o_ j’essaie de montrer que le terrain
n’est pas un simple stade mais plutôt un temple.
C’est une étude sensiblement orientée vers
l’analyse iconographique et architecturale. Cependant, je
mettrai aussi _ profit un petit texte sacré comprenant les
idées cosmologiques des Mayas: le Popol
Vuh.
La présente publication poursuit deux objectifs:
apporter des réponses concernant le symbolisme du jeu de
balle dans l’aire maya, et permettre au plus grand nombre
_ je pense en particulier aux étudiants
_ de découvrir, _ travers un aspect particulier
de la culture maya, ce peuple fascinant et, au del_, la
Méso-Amérique préhispanique. Ma propre
expérience m’a encouragé dans cette voie. En
effet, alors que je souhaitais aborder la Gr_ce antique pour les
besoins d’un projet d’étude
américaniste, je me vis confronté aux limites
qu’imposent mes connaissances dans ce domaine, tant au
point de vue géographique que historique et linguistique.
C’est pourquoi, je propose au lecteur novice de nombreuses
explications en notes ainsi qu’un glossaire _ la fin de cet
ouvrage afin qu’il puisse suivre les idées et
qu’il ne se trouve pas dérouté face _ des
termes ou des notions inconnus.
Aussi, commençons par déterminer les
cadres géographique et temporel. La premi_re
difficulté que rencontre toute personne
intéressée par la culture maya réside dans
la délimitation du Mayab. En effet, les chercheurs
n’arrivent pas _ se mettre d’accord sur
l’extension territoriale occupée par les Mayas _
l’époque préhispanique. Tout dépend en
fait des crit_res que l’on consid_re: archéologiques
ou linguistiques. Je ne veux pas entrer dans le débat mais
retenir comme base géographique pour cet essai la
combinaison de ces deux crit_res. Ainsi l’aire obtenue
s’étend sur un territoire de quelque 325.000
km2, comprenant les actuelles républiques du
Guatemala et
du Belize, les états mexicains de Yucatán, Quintana
Roo et Camp_che, la moitié orientale des états de
Tabasco et Chiapas, ainsi que les bordures occidentales du
Honduras et du Salvador.
L’occupation de ce territoire est tr_s ancienne,
et date de la période lithique avec l’arrivée
de bandes de chasseurs-récolteurs. Cependant, c’est
seulement _ partir du premier millénaire avant
Jésus-Christ que l’on peut parler
véritablement de "culture maya". Pour établir les
grandes périodes temporelles de cette aire se pose le m_me
probl_me que pour le cadre géographique. Le tableau
synoptique ci-dessous expose néanmoins la classification
la plus simple, et _ la fois la mieux acceptée par les
spécialistes:
Préclassique Ancien: 2000/1000 avant
J.C.
Préclassique Moyen: 1000/400 avant
J.C.
Préclassique Récent: 400 avant J.C./200
apr_s J.C.
Classique Ancien: 200/400 apr_s J.C.
Classique Moyen: 400/600 apr_s J.C.
Classique Récent: 600/900 apr_s J.C.
Postclassique Ancien: 900/1200 apr_s J.C.
Postclassique Moyen: 1200/1450 apr_s J.C.
Postclassique Récent: 1450/1552 apr_s
J.C.
Enfin, avec la permission de l’aimable lecteur, je
souhaiterais remercier Maurice Birckel, María Jesús
Mejías Alvárez, Nélida Gliemann et Manuel
del Pozo Redondo qui m’ont apportées leur aide,
soutien profitable et enrichissant en m_me temps que sinc_re et
désintéressé.
Le jeu
L’origine du jeu de balle
Parler de l’origine du jeu de balle suppose que
dans toute la Méso-Amérique, il n’y ait eu
qu’une façon de jouer _ la balle : or cela est faux.
L’exemple de Teotihuacán est
révélateur _ ce sujet. En effet, les joueurs de
cette Cité-Etat utilisaient des battes pour renvoyer la
balle comme le démontrent les peintures du Tlalocán
_ Tepantitla. L’espace de jeu était quant _ lui
délimité par des st_les comme celle de La Ventilla.
Rien de commun avec le jeu pratiqué dans l’aire maya
o_ il était interdit de toucher la balle avec les mains ou
les pieds, et qui se déroulait dans des terrains
spécialement aménagés. De plus, sur une m_me
aire culturelle, le jeu a pu évoluer au cours du temps ou
selon les régions. Par exemple, la péninsule du
Yucatán présente des terrains avec des anneaux,
élément inconnu dans le reste du Mayab et qui
introduisit une variante dans la mani_re de jouer. Aussi, il est
impropre de parler d’un jeu de balle alors qu’il
existait des jeux de balle. Dans ce contexte, peut-on dire que
tous les jeux de balle de Méso-Amérique ont la m_me
origine ?
Les premi_res traces de jeu de balle proviennent de
figurines. Arturo Oliveros a découvert un groupe de huit
figurines en terre cuite trouvées dans une tombe _ El
Ope_o (Michoacán, Mexique), et datant du
Préclassique ancien (1500 av. J.C.). Cinq hommes jouent _
la balle avec une sorte de bâton et trois femmes sont
spectatrices. Cette sc_ne est la représentation la plus
ancienne trouvée jusqu’_ présent. A Xochipala
(Guerrero, Mexique), une figurine de joueur datant elle aussi du
Préclassique a été trouvée, mais
c’est dans l’altiplano mexicain, _ Tlatilco (Mexico
D.F.) notamment, que le plus grand nombre de figurines fut
découvert. Aux côtés des "mujeres bonitas"
des joueurs arborent leur tenue caractéristique ou
tiennent une balle dans la main. Ces découvertes sont _
rapprocher de la zone olm_que car vers le Préclassique
moyen l’altiplano subit l’influence de ce peuple de
la côte du golfe du Mexique. Ce qu’il y a de commun _
tous les jeux, c’est la balle de caoutchouc. Or, les
Olm_ques, dont le nom signifie littéralement "les
habitants du pays du caoutchouc", vivaient dans la principale
région productrice de cette mati_re. De m_me, le plus
vieux terrain connu appartient au site de La Venta (Tabasco,
Mexique), et d’aucuns ont cru voir dans les magnifiques
t_tes colossales l’image de joueurs de balle
décapités. Ajoutons _ cela leur réseau
commercial tr_s étendu et le fait que la culture olm_que
soit la "culture m_re" de Méso-Amérique; d_s lors
il me semble correct de penser que les jeux de balle n’ont
eu qu’une seule et m_me origine. Les différences
proviendraient des particularités de chaque région
et de chaque culture qui aurait adapté le jeu selon ses
propres crit_res. De la zone olm_que, le jeu de balle avec les
idées religieuses et symboliques qui lui sont
rattachées se serait propagé _ l’aire maya o_
il connut le plus bel essor. Sans doute la culture maya,
l’une des cultures les plus riches et impressionnantes au
monde, sut le magnifier. L’aire maya compte ainsi le plus
grand nombre de terrains de toute la
Méso-Amérique.
Bien que le jeu de balle pratiqué dans
l’aire maya ait pu varier dans le temps et dans
l’espace, il est possible de systématiser un certain
nombre de r_gles. Ainsi, ce jeu opposait deux équipes qui
se disposaient _ chaque bout du terrain, de part et d’autre
d’un axe transversal qui servait de ligne centrale. Ce jeu
était difficile car les joueurs ne pouvaient toucher la
balle qu’avec les genoux, les coudes, les hanches ou les
fesses, mais surtout pas avec les mains ou les pieds, ce qui
aurait rendu le jeu beaucoup plus facile.
Le compte des points, dont le nombre était
fixé d’un commun accord entre les joueurs avant une
partie, se résume de la façon suivante:
lorsqu’une équipe ne renvoyait pas la balle
correctement (si elle sortait de l’aire de jeu ou
qu’un joueur la touchait avec une partie du corps
interdite), elle perdait un point au bénéfice de
l’équipe adverse qui en gagnait un. Le compte des
points dépendait donc uniquement des fautes de chacun,
excepté dans le cas o_ le terrain possédait des
anneaux. Dans ce cas-l_, comme l’ont abondamment
décrit les chroniqueurs, la victoire était
accordée automatiquement _ l’équipe dont le
joueur avait réussi l’exploit tr_s rare – pour ne
pas dire impossible – de faire passer la balle dans
l’anneau correspondant _ son camp, et cela quel que soit le
score _ ce moment-l_ de la partie.
Mena et Jenkins mentionnent l’existence de
"Veedores del Juego", c’est _ dire des arbitres dont le
rôle était de veiller au bon déroulement du
jeu et de régler d’éventuels litiges.
J’admets volontiers leur présence, mais
j’ajouterai qu’il devait sans doute s’agir de
pr_tres. En effet, astreints _ la recherche de la pureté
avec tout ce que cela implique, les religieux étaient les
seules personnes impartiales et capables de traduire le
résultat de la partie.
Les pr_tres ainsi que les rois et les
personnalités importantes observaient le jeu depuis la
partie supérieure des structures latérales et
terminales du terrain. Notons d’ailleurs que des temples et
divers bâtiments appelés superstructures
étaient construits sur de nombreux terrains de jeu de
balle.
Le Popol Vuh
Il existe peu de documents mayas nous renseignant sur le
jeu de balle. Les quelques codex mayas qui ont survécu _
la conqu_te et _ la folie destructrice des
ecclésiastiques, n’apportent rien sur cet aspect de
la culture maya. Cependant, un petit livre contenant les
idées cosmologiques du peuple quiché est parvenu
jusqu’_ nous: le Popol Vuh. Rédigé apr_s la
conqu_te espagnole, il s’agit un texte sacré
(d’aucuns l’appellent la "Bible" quiché) qui
renferme de nombreuses informations sur le jeu de balle et son
symbolisme, ainsi que sur la mani_re de jouer. Dans la partie
intitulée "Troisi_me Création", le jeu de balle
constitue le point central du mythe que l’on peut
résumer de la mani_re suivante:
Alors que sur terre les deux jumeaux Hunhunahpú
et Vucub Hunahpú jouent _ la balle, les seigneurs du Monde
Inférieur les convient _ descendre _ Xibalbá pour
jouer avec eux. Une fois arrivés sur place,
Hunhunahpú et Vucub Hunahpú subissent une dure
série d’épreuves qui leur co_tera la vie.
Leur corps sont enterrés, exceptée la t_te de
Hunhunahpú qui est suspendue _ un arbre. D_s lors cet
arbre, un calebassier, poussera et donnera de nombreux fruits
parmi lesquels la t_te de Hunhunahpú passera
inaperçue. Désobéissant _
l’interdiction de s’approcher de l’arbre,
Xquic, la fille d’un des seigneurs, tombe enceinte apr_s
que le crâne de Hunhunahpú lui ait craché
dans la main. Elle échappe de peu aux représailles
de ses semblables, et se réfugie chez sa belle-m_re. Sur
terre, elle donne naissance _ des jumeaux, Hunahpú et
Xbalanqué. Aidés par une souris, ces derniers
récup_rent l’équipement de leurs p_re et
oncle et se mettent _ jouer _ la balle. De nouveau, les seigneurs
de Xibalbá entendent le bruit, et les convient _ descendre
dans le Monde Inférieur. Ils subissent alors les m_mes
épreuves que Hunhunahpú et Vucub Hunahpú,
mais arrivent _ déjouer tous les pi_ges tendus par leurs
adversaires. Les deux équipes se mettent _ jouer _ la
balle et les jumeaux perdent; néanmoins ils gardent la vie
sauve car ils arrivent _ payer l’enjeu aux seigneurs du
Monde Inférieur. De nouvelles épreuves les
attendent et, au cours de l’une d’elles,
Hunahpú est décapité par une chauve-souris
vampire: sa t_te devient d_s lors la balle d’une deuxi_me
partie de jeu. Xbalanqué arrive, par ruse, _ remplacer la
balle par un lapin, et ressuscite son fr_re. Les jumeaux sont
vainqueurs. Enfin, apr_s de nouvelles épreuves et de
nouvelles ruses, les seigneurs sont définitivement vaincus
et tués. Les jumeaux ressuscitent leurs p_re et oncle, et
montent au ciel pour devenir l’un le Soleil, l’autre
la Lune.
Ce mythe est fondamental pour l’étude du
symbolisme du jeu de balle dans l’aire maya, et je
m’y référerai tout au long de cet essai,
depuis l’analyse des instruments du jeu et des v_tements
des joueurs jusqu’_ l’étude du terrain et des
sculptures qui lui sont associées.
Il peut paraître surprenant que les chroniqueurs
des Indes se soient fortement intéressés _ la
balle, élément que l’on pourrait qualifier de
secondaire comparé aux r_gles du jeu ou aux v_tements des
joueurs par exemple. Cet intér_t tout particulier pour la
balle tient principalement _ la qualité de rebond de
celle-ci. En effet, _ l’époque de la conqu_te, les
Européens ne connaissaient que des balles en bois, en
cuir, en crin ou en tissu qui ne rebondissaient pas comme les
balles indig_nes.
Le caoutchouc: une mati_re sacrée
La balle, dont la taille et le poids étaient
variables,
s’obtenait _ partir de la résine d’un arbre
qui poussait principalement dans les terres chaudes et humides de
la côte du golfe du Mexique. Cette résine, une fois
traitée, donnait une mati_re appelée ollin en
náhuatl, et que nous connaissons sous le nom de
caoutchouc.
Le caoutchouc s’est vu attribuer, d_s ses
premi_res utilisations, un caract_re sacré qui tient _ ses
propriétés exceptionnelles. En effet, il poss_de
des vertus curatives que les indiens utilisaient pour soigner les
malades. Ainsi, mélangé _ d’autres plantes,
il guérissait la toux et la colique entre autres maux.
Mais surtout, on comprend plus facilement pourquoi l’ollin
était une mati_re sacrée en observant sa
faculté _ rebondir. Le caoutchouc "triche avec la
principale loi qui régit les autres solides: celle de la
pesanteur. Jeté au sol, il rebondit, comme soulevé
d’une force magique, presque jusqu’au point
d’o_ il est parti". Symboliquement, le caoutchouc
faciliterait donc le contact entre les personnes vivant sur terre
et les divinités qui peuplent le ciel. Cette idée
de trait d’union entre les hommes et les dieux se retrouve
d’ailleurs lorsque les Mayas faisaient br_ler du
caoutchouc, de l’encens et du copal: les nuages de
fumée s’élevaient vers le ciel et
sollicitaient la protection ou l’aide d’un dieu. Une
telle cérémonie se pratiquait dans le cadre du jeu
de balle, la veille d’une partie importante. Les joueurs
déposaient leurs protections de cuir et leur balle devant
l’âtre et invoquaient l’aide des dieux pour la
partie du lendemain.
La balle et les astres
Le caoutchouc, grâce _ son extraordinaire
mobilité, permet donc le contact entre la terre et le
ciel. Il est légitime de se demander par conséquent
si la balle fabriquée en cette mati_re ne symboliserait
pas le mouvement des astres, en raison de l’analogie
manifeste entre la rondeur de la balle et la forme des
étoiles et des plan_tes.
Si nous prenons le cas du soleil, force est de remarquer
que tous les matins il semble sortir de la terre pour
s’élever peu _ peu vers le plus haut point du ciel,
puis redescendre et revenir s’engouffrer dans les
profondeurs terrestres. Il apparaît que le cours du soleil
est identique au mouvement de la balle qui s’él_ve
tr_s haut pour retomber ensuite _ terre. La balle pourrait donc
incarner le soleil. Cette hypoth_se se renforce lorsque
l’on sait que pour les Chortis contemporains, le soleil est
justement représenté par une balle, et que dans le
Popol Vuh la t_te décapitée du jeune dieu solaire
Hunahpú sert de balle lors d’une partie
disputée entre les seigneurs du Monde Inférieur et
Xbalanqué. Plusieurs éléments me font penser
que la balle peut aussi incarner la lune. En effet, il est
fréquent de trouver des sculptures o_ la balle prend la
forme d’un lapin. De m_me, dans le Popol Vuh, un lapin se
substitue comme balle _ la t_te décapitée de
Hunahpú. Or, cet herbivore est associé par
excellence _ la lune: les peuples méso-américains
croyaient le voir sur la face du satellite terrestre. Ils
faisaient le parall_le entre l’abondante activité
sexuelle du lapin et l’influence du cycle lunaire sur le
cycle menstruel de la femme.
La balle et la fécondité
La balle est aussi un symbole de fécondité
et de fertilité. En effet, comme nous venons de le voir,
elle peut _tre assimilée au soleil et _ la lune. Or, le
soleil est l’astre qui permet le développement de la
vie sur terre, et la lune a toujours symbolisé la
fécondité en raison de sa relation avec les
menstrues de la femme et avec les eaux germinatives et les
marées. De plus, le mot qui signifie caoutchouc au
Yucatán, kik (que l’on retrouve dans le nom de la
m_re des jumeaux mythiques, Xquic), désigne aussi le sang
et la s_ve des arbres _ qui n’est autre
qu’un sang d’une couleur différente
_, et par extension le sperme, autant de substances
nécessaires _ la vie. Enfin, la balle est souvent
comparée _ une t_te de mort ce qui rappele le sang et la
vie car, comme nous le verrons par la suite, il ne faut pas
considérer le sacrifice comme la mort mais comme le
passage _ une nouvelle vie. Le plus bel exemple de balle/t_te de
mort se trouve au centre des panneaux du terrain 2D1 de
Chichén Itzá (Yucatán, Mexique).
Les sacrifices par décapitation
La justification des sacrifices humains
On a longtemps pensé que les Mayas, contrairement
_ leurs voisins mexicas, n’avaient jamais pratiqué
de sacrifices humains. Cette théorie, compl_tement
obsol_te aujourd’hui, s’appuyait sur
l’idée qu’ils étaient un peuple
pacifique dont la vie quotidienne était seulement
tournée vers le travail des champs et la recherche
astronomique. Nous savons désormais que ce schéma
n’est qu’en partie vrai, et que la
société maya était beaucoup plus complexe
qu’une simple division entre agriculteurs et pr_tres. Bien
au contraire, les sacrifices humains existaient déj_
durant la période préclassique comme en
témoigne la st_le 21 de Izapa (Chiapas, Mexique), et ils
se sont intensifiés durant la période suivante pour
culminer enfin au Postclassique sous l’influence des
peuples mexicains.
J’ai employé précédemment
l’expression "peuple pacifique" _ propos de l’absence
supposée du sacrifice humain dans l’aire maya.
C’est une erreur… o_ plutôt une position tr_s
eurocentriste. En effet, par notre culture, nous avons tendance _
associer sacrifice humain _ barbarie, horreur, violence, etc. Les
récits des chroniqueurs témoignent d’ailleurs
de ce véritable dégo_t vis-_-vis de ces coutumes
"diaboliques" et "barbares". Cependant pour les Mayas, le
sacrifice humain était une pratique légitime et
justifiée dans la mesure o_ il s’inscrivait dans la
logique de leurs idées religieuses. Les dieux
n’accordaient pas leur aide bénévolement, et
avaient besoin d’offrandes pour obtenir les forces
nécessaires _ l’accomplissement de leur tâche.
Ces offrandes pouvaient _tre du copal, du caoutchouc, de la
nourriture, des petits objets symboliques ou bien une substance
chargée de puissance et de fécondité: le
sang. Si c’est le sang qui les intéressait, pourquoi
ne se limit_rent-ils pas aux sacrifices d’animaux? La
réponse _ cette question tient au fait que, pour les
Mayas, seul l’organisme humain concentrait une
énergie qui se libérait _ la mort de
l’individu. Mais, comme le précise Christian
Duverger "dans des conditions de déc_s naturelles, cette
énergie se tellurise, elle se disperse dans les
profondeurs de la terre, cessant d’_tre utilisable par la
société des vivants. Il faut donc trouver le moyen
d’enrayer son évasion au moment de la mort afin de
pouvoir capter et recycler ses vertus dynamiques". Le sacrifice
apparaît donc comme la seule façon d’emp_cher
cette perte d’énergie.
Jeu de balle et décapitation
Si l’on comprend mieux en quoi les sacrifices
étaient importants aux yeux des Mayas – ils permettaient
de satisfaire les exigences des dieux qui leur accordaient leurs
faveurs en retour – plusieurs questions restent cependant en
suspens. A quel(s) dieu(x) s’adressaient les sacrifices
pratiqués dans le cadre du jeu de balle ?, c’est _
dire qui étai(en)t le(s) destinataire(s), et qu’est
ce que les Mayas en attendaient ? A cette question fondamentale
car elle a trait directement _ la problématique de cet
ouvrage, vient se greffer toute une série d’autres
questions qui sont les suivantes : o_ et quand le sacrifice
avait-il lieu ? Qui étaient le(s) sacrificateur(s) et
le(s) sacrifié(s) ? Et comment s’agençait le
sacrifice ? Autant de questions auxquelles il convient de
répondre.
Il est logique de penser que le sacrifice, acte
sacré, avait lieu dans l’enceinte du terrain car
cette construction, comme la pyramide échelonnée,
reflétait l’image du Cosmos et possédait par
conséquent elle aussi un caract_re sacré
intrins_que. Pour _tre plus précis, le sacrifice
s’effectuait au centre du terrain car le centre, bien
souvent indiqué par un marqueur en pierre,
représentait dans la cosmologie maya l’intersection
des quatre secteurs horizontaux du plan terrestre et
des trois niveaux cosmiques verticaux, c’est _ dire le
Ciel, la Terre et l’Inframonde. Autrement dit, le centre
permettait le passage d’une dimension _ l’autre de
l’Univers. Notons d’ailleurs que des
cérémonies, lors de l’inauguration d’un
terrain o_ avant une partie, s’effectuaient _ cet endroit,
et que dans les codex mexicains, nombreuses sont les
représentations de terrains exhibant des crânes
humains au centre.
Le sacrificateur, selon Chauvet, est une personne _ qui
un groupe donné reconnaît une
légitimité dans cette fonction. Qui mieux que les
pr_tres pouvaient jouer ce rôle ? Ces hauts personnages de
la société maya semblent _tre, en effet, les
personnes les plus capables pour exécuter les sacrifices,
d’autant plus que dans d’autres contextes c’est
toujours _ eux que l’on confie cette tâche. Les
pr_tres assumaient parfois la fonction d’arbitre et
interprétaient les résultats : le jeu de balle
était ainsi une prophétie, c’est _ dire la
révélation par inspiration divine des choses
cachées. Les deux équipes qui s’affrontaient
représentaient des divinités opposées
_ par exemple dans le Popol Vuh, les forces des
Tén_bres contre les forces de la Lumi_re _ ou
une réponse différente _ une question posée.
Le résultat était alors interprété
par les pr_tres qui prophétisaient par la suite des
événements selon l’équipe gagnante. Si
les prophéties étaient mauvaises
(sécheresses, inondations, maladies, etc.), on contentait
les dieux pour éviter ces calamités au moyen
d’offrandes et de sacrifices.
En ce qui concerne l’identité du ou des
sacrifiés, il s’agissait certainement des joueurs de
l’équipe perdante ou du moins de son chef comme en
témoignent les panneaux du terrain 2D1 de Chichén
Itzá.
Enfin, nous pouvons nous demander pourquoi les pr_tres
officiaient les sacrifices liés au jeu de balle en
utilisant la décapitation, et non pas d’autres
techniques tout aussi spectaculaires et beaucoup plus
utilisées (je pense notamment _ l’extraction du
coeur). Kampen estime que l’utilisation de la
décapitation provient de la coutume qui consistait _
ramener la t_te des ennemis de guerre comme des trophées.
Cela suppose que le jeu de balle possédât un
caract_re guerrier. Or, il est vrai que sur une zone
déterminée (le nord-ouest du Mayab) le jeu pouvait
servir _ régler des conflits et _ réaffirmer un
pouvoir, mais l’on ne peut pas étendre cette
particularité _ l’ensemble de l’aire maya.
Plus généralement, la décapitation pourrait
_tre un moyen de remémorer le sacrifice que subit
Hunhunahpú, lorsque lui et son fr_re Vucub Hunahpú,
perdirent la partie de jeu de balle contre les seigneurs de
Xibalbá. Gillepsie envisage _ ce propos que la
décapitation renvoie _ la notion de démembrement
(séparer le corps en plusieurs parties). La
décapitation engendre une disjonction dans le corps, comme
les mouvements périodiques des astres qui introduisent une
disjonction dans le temps, séparant le Cosmos entre le
jour et la nuit, l’été et l’hiver, la
saison s_che et la saison des pluies, etc. Aussi peut-on imaginer
que la décapitation, plus que tout autre moyen sacrificiel
permettait d’entrer en contact avec les astres, et plus
particuli_rement le Soleil et la Lune. Les dieux solaire et
lunaire seraient donc des dieux privilégiés du jeu
de balle. Lothar Knauth pense d’ailleurs que "el rito de
decapitación significó el acto imitativo del drama
cósmico cuando la luna, símbolo de la fertilidad,
tuvo que ser sacrificada para dar paso al sol, símbolo del
dar y del sostener de la vida". Enfin, les st_les de Santa
Lucía Cotzumalhuapa (Escuintla, Guatemala) montrent des
personnages v_tus comme des joueurs (peut-_tre des pr_tres)
offrant une t_te décapitée _ des divinités
qui descendent du ciel et qui présentent les atours
caractéristiques du Soleil et de la Lune.
L’identité des joueurs
En ce qui concerne l’identité des joueurs,
on peut d’ores et déj_ affirmer que seuls les hommes
pratiquaient le jeu car il était tr_s rude et demandait,
en plus de l’adresse et de l’agilité, de la
puissance et de la résistance. Jesús Castro Blanco
nous dit _ ce propos que " el evento era muy duro y violento, al
grado que después de la partida, los participantes
quedaban con un cuerpo adolorido y maltrecho. No escaseaban los
huesos rotos,
habiendo casos de muertes causadas por inesperados golpes en el
estómago". Le probl_me de l’identité des
joueurs se pose sur la question de la classe sociale. Les
chroniqueurs sont d’accord sur le fait que les couches
supérieures (les rois et les seigneurs) ainsi que des
joueurs professionnels dont le statut et le prestige
découlaient précisément de cette
activité, intervenaient dans le jeu. De nombreuses
représentations sculpturales montrent ainsi des rois
habillés et agissant comme des joueurs : citons par
exemple le roi Oiseau-Jaguar III sur la marche centrale n° 7
de la structure 33 de Yaxchilán (Chiapas, Mexique). Les
dieux eux-m_mes jouaient _ la balle comme le rapporte le Popol
Vuh. Les pr_tres, au contraire, ne jouaient pas mais avaient un
rôle clef, car ils suivaient de pr_s les aléas du
jeu et tachaient d’en interpréter le
résultat.
Il ne faut pas oublier cependant que le jeu de balle
était aussi un sport. C’est peut-_tre l’image
qui nous vient le plus directement _ l’esprit, en pensant
au football, au basket-ball et autres jeux de balle.
D’autre part, c’est le seul aspect du jeu
précolombien qui soit actuellement conservé : on le
retrouve dans le nord-ouest du Mexique, dans l’état
de Sinaloa principalement. Bien que cet essai tente de comprendre
ce que signifiait le jeu de balle dans son aspect religieux et
symbolique, il convient de préciser que toutes les classes
sociales y avaient acc_s lorsqu’il s’agissait
d’un simple sport. Le nombre tr_s élevé de
terrains dans certains centres cérémoniels –
Chichén Itzá et Kaminaljuyú (Escuintla,
Guatemala) en ont treize, Tikal (Petén, Guatemala) en
compte cinq – montre que, en plus du teotlachco, les hommes
disposaient de structures o_ ils pouvaient s’adonner au
plaisir que procure tout sport. La difficulté du jeu
impliquait d’autre part que les joueurs qui
interviendraient lors du jeu religieux puissent
s’entraîner afin de se préparer physiquement.
Lors de ces entraînements, le caract_re religieux
était bien évidemment absent.
Dans le codex Mendoza, on apprend que l’empereur
mexica Moctezuma II exigeait des cités de la côte du
golfe du Mexique le paiement d’un tribut annuel
composé de 16.000 balles de caoutchouc. Ce chiffre qui
donne une idée de la consommation de balles dans
l’empire mexica sugg_re que le jeu était
fréquemment disputé, et qu’il devait _tre
considéré comme une distraction, un passe-temps.
Enfin, l’existence de paris importants est propre _ la
compétition sportive.
Les v_tements des joueurs
Des tenues cérémonielles ?
L’impact d’une balle de caoutchouc dont le
poids pouvait atteindre plus de trois kilos obligea les joueurs _
se couvrir certaines parties du corps pour se protéger des
coups. Les tenues étaient variées, mais l’on
peut déterminer quelques constantes. Ainsi, les joueurs
adopt_rent souvent des protections aux genoux et aux coudes, et
parfois m_me des gants et une sorte de casque dont il est fait
mention dans le Popol Vuh. C’est sur les hanches que se
portait néanmoins la protection la plus importante et _ la
fois la plus problématique. Elle pouvait _tre de deux
sortes :
*1. La protection était une simple ceinture de
cuir ou de bois qui reposait sur les hanches et protégeait
le ventre. Elle porte le nom de "joug".
*2. La protection était beaucoup plus
épaisse que la précédente et couvrait non
seulement les hanches et le ventre mais aussi le
torse.
Il saute aux yeux, en regardant les joueurs qui portent
cette derni_re protection, que leur tenue d’ensemble est
plus élaborée : ils arborent des colliers, des
panaches de plumes et de drôles de coiffures zoomorphes.
Par exemple, sur un vase du Petén, un joueur porte une
coiffure en forme de t_te de héron ou de cormoran. Un tel
équipement était parfaitement encombrant et devait
peser lourd, c’est pourquoi je pense qu’il ne
s’agissait pas d’une tenue que portaient les joueurs
pendant la partie elle-m_me, mais plutôt avant ou apr_s un
match, une tenue cérémonielle en somme. La veille
ou avant le début d’une partie, les joueurs
pouvaient mettre ces tenues d’apparat, et présenter
des offrandes aux Dieux (ce qui est confirmé par les
chroniqueurs), ou bien défiler dans la pure tradition du
spectacle sportif. Les rois, qui jouaient _ l’occasion,
portaient aussi des tenues identiques. Enfin, m_me s’il est
avéré que les pr_tres ne jouaient pas, je suis
convaincu que parmi ces peintures et sculptures se cachent de
nombreux membres de la caste sacerdotale. Il suffit, en effet, de
s’appuyer sur les sc_nes de sacrifice et de
décapitation exécutées par des personnages
v_tus de ces tenues opulentes. Le chef ou les autres joueurs
d’une équipe ne pouvaient _tre en aucun cas les
sacrificateurs, car ce n’était pas _ eux
qu’incombait cette tâche. Seuls les pr_tres, en tant
que garants du rituel et médiateurs entre les dieux et les
hommes, étaient _ m_me de s’occuper de ces
sacrifices. Allen Wardwell remarque d’ailleurs que les
coiffures zoomorphes en forme d’oiseaux étaient
l’apanage des pr_tres et des guerriers.
Si ces v_tements semblent constituer une tenue
cérémonielle, se pose toutefois un probl_me : les
représentations de joueurs portant ces habits ne se
trouvent que dans les basses terres centrales et du sud, surtout
autour des fleuves Usumacinta et Pasión. Ailleurs, dans
les hautes terres, sur la côte pacifique ou dans la
péninsule du Yucatán, la tenue des joueurs est plus
dépouillée et correspond _ la protection n° 1.
De plus, les personnages ainsi v_tus semblent faire des offrandes
aux dieux et s’inscrivent parfois dans le cadre de
cérémonies. L’hypoth_se de départ
est-elle fausse ? Peut-on penser, _ l’instar de Hellmuth,
que les Mayas du Petén (ceux qui portent les tenues
compliquées) pratiquaient un jeu o_ la balle se tapait sur
le thorax ? Rien n’est moins s_r car l’on a
trouvé des jougs (protection n° 1) dans des centres
proches de l’Usumacinta et du Pasión, _ Palenque
(Chiapas, Mexique) et _ Copán (Honduras). Il faut en
déduire que deux types de protection ont coexisté
dans le coeur du Mayab: l’une pour le jeu, l’autre
pour les cérémonies attenantes. Dans le reste de
l’aire maya, seuls les jougs étaient
utilisés.
Les jougs
La protection n° 1 s’appelle "joug" car il
s’agit d’une pierre dure sculptée ayant la
forme d’un fer _ cheval. Les jougs mesurent en moyenne 45
cm. de long pour 30 cm. de large avec une ouverture comprise
entre 16 et 18 cm. Ils peuvent peser jusqu’_ trente kilos,
et sont décorés de t_tes de grenouilles, de
jaguars, de serpents ou d’hommes, ainsi que de volutes. Les
jougs sont originaires de la côte du golfe du Mexique, de
la région totonaque (Veracruz, Mexique) o_ ils furent tr_s
abondants durant la période classique. C’est _ cette
époque que l’utilisation des jougs se diffuse dans
l’aire maya en relation avec le commerce qui permet de
multiples échanges. Mais ce ne sont pas les Totonaques qui
les ont inventés comme en témoigne la
découverte, en 1988, d’un joug olm_que datant du
Préclassique ancien. Ce joug qui provient du site de El
Manatí (Veracruz, Mexique) est une pierre taillée
verte obscure qui mesure 38 cm. de long. Les Olm_ques auraient
donc été _ l’origine de l’invention du
joug, mais ce seraient les Totonaques qui, parall_lement _
l’augmentation de l’importance du rituel du jeu de
balle, auraient développé son utilisation et sa
diffusion. Dans l’aire maya, les archéologues ont
trouvé une centaine de jougs datant du Classique et
provenant principalement de la côte pacifique.
Récemment, une cache contenant 52 jougs en pierre a
été découverte pr_s de Tiquisate
(Escuintla).
Comme je l’ai déj_ dit _ plusieurs
reprises, le joug correspond _ la protection n° 1,
c’est _ dire _ une simple ceinture que les joueurs se
mettaient sur les hanches pour se protéger le ventre des
coups provoqués par l’impact de la balle. Cette
hypoth_se fut lancée en 1946 par Gordon Ekholm qui
démontra que des figurines de joueurs portaient ces
sculptures. Or, je n’ignore pas que les jougs pouvaient
peser jusqu’_ trente kilos. La question qui se pose est de
savoir si un tel poids rend le jeu possible. Scott et Hellmuth
firent l’expérience et arriv_rent _ des conclusions
différentes. Le premier reste sceptique quant _ son
utilisation réelle dans le jeu tandis que le second
affirme n’avoir eu aucun probl_me pour se déplacer
avec la sculpture en pierre. J’estime pour ma part que les
jougs en pierre n’étaient pas directement
utilisés lors d’une partie de jeu de balle, mais que
les joueurs se protégeaient grâce _ des
reproductions de ces jougs en bois ou en cuir. La
découverte d’un joug en bois par Guillemin confirme
cette hypoth_se. De m_me, Reina de Vries a récemment
démontré avec succ_s que des ceintures en cuir,
identiques aux jougs en pierre, pouvaient _tre fabriquées
en utilisant le joug comme moule. Cet objet ne serait donc
qu’un moule ? Loin de moi cette idée. En effet,
cette fonction n’en exclut pas d’autres. Nous pouvons
tr_s bien imaginer que les jougs se portaient avant ou apr_s une
partie, lors des cérémonies dont j’ai
parlé précédemment. De m_me, le joug
pourrait _tre un trophée, l’embl_me du jeu qui
serait mise en valeur dans un endroit particulier du terrain. Ce
trophée, qui ressemble _ nos coupes modernes, serait remis
_ l’équipe gagnante _ la fin d’un match.
Certains chercheurs ont m_me pensé que le joug serait un
instrument servant au sacrifice par extraction du coeur. Il
servirait _ bloquer le cou du sacrifié qui ne pourrait
plus bouger. Une telle utilisation serait techniquement possible
mais n’entrerait pas dans le cadre du jeu de balle, car
seuls les sacrifices par décapitation étaient
pratiqués lors de ce rituel. Enfin, les jougs ont
été fréquemment associés _ des
enterrements: c’est le cas _ Tikal et _ Toniná
(Chiapas, Mexique). On peut penser que les grands joueurs
étaient enterrés avec eux.
Le joug ou sa réplique en bois ou en cuir
n’est pas un simple objet mais poss_de aussi un symbolisme
utile pour l’analyse du jeu de balle. L’idée
la plus répandue est que sa forme en U représente
la bouche de la terre. Le joueur arborant un joug se situerait
donc _ moitié dans le Monde Supérieur et _
moitié dans le Monde Inférieur. Il symboliserait le
centre de l’Univers o_ se rencontrent le plan vertical (le
joueur) et le plan horizontal (l’allée du terrain o_
se trouve le joueur). Guillemin a découvert ainsi, sur le
joug en bois de Tikal, des traces de trois couleurs de peintures
différentes. Le joug avait été peint tout
d’abord en noir (couleur que l’on peut associer au
nadir de l’Inframonde), puis en rouge (couleur du
zénith du Monde Supérieur) et enfin en bleu-vert,
couleur du centre. Le noir et le rouge renvoient aussi
respectivement _ l’ouest et l’est, lieux de la mort
et de la renaissance du Soleil. Enfin, il convient de remarquer
que les jougs étaient souvent fabriqués avec des
pierres vertes (serpentine, diorite, jade). Or, il s’agit
de la couleur du divin et du sacré et du centre de
l’Univers dans le panthéon maya.
Les instruments des joueurs
L’attirail des joueurs comprenait la balle et le
joug en pierre ainsi que d’autres objets : hache, palme et
pierre _ main.
Les haches
Une hache est "un objet plat en pierre
représentant le plus souvent une t_te _ profil double. Son
nom vient de son bord externe qui est souvent biseauté
comme la lame d’une hache". Ces instruments se trouvent
fréquemment dans l’aire maya, en particulier dans la
région de Bilbao et de Santa Lucía Cotzumalhuapa,
ainsi qu’ _ Copán et _ Palenque.
On consid_re généralement ces objets comme
faisant partie des v_tements des joueurs car sur de nombreuses
représentations iconographiques des objets ressemblants _
des haches sont accrochés au cou ou _ la taille des
joueurs. Je consid_re pour ma part qu’il ne s’agit
pas d’un v_tement _ proprement parler mais d’un objet
cérémoniel. En effet, les haches ne sont
présentes que lorsqu’un joueur arbore un joug. Or,
le joug en pierre était utilisé seulement durant
les cérémonies.
L’iconographie des haches aide _ mieux comprendre
quelles étaient leurs fonctions dans le cadre du jeu de
balle. Je distinguerai trois groupes: un groupe A composé
de sculptures zoomorphes, un groupe B comprenant des sculptures
anthropomorphes, et un groupe C que je désignerai par le
mot-valise de "anthropozoomorphes".
Le groupe A (sculptures zoomorphes) présente,
comme son nom l’indique, des haches en forme de t_te
d’animal, le plus souvent des aras et des jaguars; le
groupe B, des t_tes humaines; et enfin, le groupe C, des
sculptures d’animaux ayant une t_te humaine dans la gueule
ou le bec. Les sculptures des groupes A et C pourraient _tre les
attributs héraldiques des équipes. En effet, le
jaguar et l’ara symbolisent respectivement le Soleil de la
nuit et le Soleil du jour : nous avons vu
précédemment que le jeu de balle pouvait opposer
des équipes représentant des forces antagonistes et
que le résultat de la partie permettait aux pr_tres de
prophétiser des événements futurs. Les
haches seraient une sorte de blason, d’écusson, et
permettraient de différencier les équipes lors des
cérémonies. Les haches du groupe B quant _ elles
rappellent la décapitation en raison de nombreuses
représentations de t_tes de mort et de sc_nes de
sacrifice. Enfin, on peut imaginer que les haches se
plaçaient sur les murs des structures latérales du
terrain pour délimiter certaines zones ou limites. Dans ce
contexte, elles auraient la m_me fonction que les panneaux,
anneaux, marqueurs et autres sculptures _ tenon. Notons
d’ailleurs que ce dernier groupe de sculptures
présentent une forte similitude iconographique avec les
haches.
Les palmes
Une palme est une pierre sculptée de forme
évasée. Elles sont fabriquées en pierres
volcaniques tr_s bien taillées et sont
décorées de volutes ou bien adoptent la forme de
corps et de t_tes humaines ou animales. Un
trait commun _ toutes les palmes est leur base concave sur
laquelle elles se soutiennent et qui s’ajuste _ la
superficie incurvée des jougs. On ne les trouve
d’ailleurs que lorsque les jougs sont présents. De
cette constatation, on peut en déduire que les palmes
comme les haches et les jougs sont des objets
cérémoniels, mais préciser quelle
était leur fonction est plus difficile. J’estime que
les palmes pourraient symboliser la fertilité et la
fécondité, car elles se terminent souvent par une
t_te de serpent, symbole du sang. Leur forme évasée
ressemble aussi _ un jet de plumes que l’on peut associer
au sang voire au sperme, un des trois fluides vitaux. De plus, il
convient de remarquer la forme et la position phalliques des
palmes.
Les pierres _ main
Les pierres _ mains constituent s_rement les instruments
qui posent le plus de probl_mes aux chercheurs qui
étudient le jeu de balle [fig. 23a]. Aucun nom unanimement
reconnu n’a d’ailleurs été
trouvé : "manoplas", "piedras con asas" ou "candados" en
espagnol, "handstones" ou "gloves" en anglais, les traductions
françaises ne sont pas plus heureuses, oscillant entre
gantelets ou pierres _ main. La seule chose dont on soit s_r, et
que refl_tent ces noms, c’est que ces objets étaient
tenus par la main. Ils présentent une forme rectangulaire
ou sphérique avec une poignée, ce qui permet de les
tenir. Les archéologues ont trouvé des pierres _
main dans une grande partie de l’aire maya, principalement
les régions du Petén et du nord-ouest du Mayab. De
nombreux panneaux, dont les plus cél_bres sont ceux du
terrain 2D1 de Chichén Itzá [fig. 23b] et des
figurines affichent des joueurs avec cet étrange
instrument. Quelles étaient ses fonctions ? Peu
d’études ont été menées sur ce
sujet, mais Stéphane de Borhegyi prétend que les
pierres _ main servaient _ dévier la balle en donnant de
la puissance au coup porté, et _ se protéger la
main des lésions que pouvaient entraîner les chutes
au sol. Ces hypoth_ses ne me convainquent pas totalement. Tout
d’abord le jeu de balle pratiqué dans l’aire
maya interdisait de toucher la balle avec la main (cela est
confirmé par les textes des chroniqueurs et par de
nombreuses sculptures et témoignages artistiques). Certes,
le joueur muni de cet objet ne touchait pas la balle directement
avec sa main mais le geste impliquait son utilisation.
D’autre part, on peut se demander si les pierres _ main ne
handicaperaient pas les joueurs. Un tel instrument pesait en
effet plusieurs kilos : c’est pourquoi je reste sceptique
quant _ son utilisation effective dans le jeu. Je crois
plutôt, sans pour autant pouvoir le démonter ni
préciser leurs fonctions exactes, que ces pierres _ main
servaient lors des cérémonies du jeu de balle comme
les autres instruments. Les joueurs des panneaux du terrain 2D1
de Chichén Itzá se trouvent engagés dans une
cérémonie et non pas dans une partie.
Les caractéristiques des terrains
Plusieurs modalités de jeu de balle ont
existé en fonction des deux données : temps et
espace. Aussi, le terrain en tant qu’ensemble de structures
disposées de façon plus ou moins symétrique
de part et d’autre d’une allée centrale
était absent dans un premier temps. Son utilisation
s’est généralisé dans toute la
Méso-Amérique (excepté Teotihuacán)
durant la période classique _ tel point que tous les
grands centres cérémoniels possédaient un ou
plusieurs terrains (Chichén Itzá en compte treize _
ce jour). Pourtant, d_s le Préclassique ces constructions
firent leur apparition, en particulier dans la zone olm_que, le
lieu d’origine des jeux de balle. Le plus vieux terrain
connu qui date de 760 avant J.C. se situe _ la Venta. Entre
l’imposante pyramide conique et la Grande Place de la
cité, se dressent deux longs monticules de terre
parall_les (85 m. de long, 16 m. de large et 6 m. de haut) qui
forment la structure primaire d’un terrain. Quant _
l’aire maya, le premier terrain fut celui de Abaj Takalik
(Retalhuleu, Guatemala) datant de 500 avant J.C..
Il n’est pas étonnant que les terrains
présentent des différences entre eux. Plusieurs
classifications de ces structures ont été
proposées depuis plusieurs dizaines d’années
: la premi_re provient d’Acosta et de Moedano Koer et la
derni_re et la plus compl_te (bien qu’obsol_te
aujourd’hui) d’Eric Taladoire. Ce chercheur
français, spécialiste du jeu de balle,
détermine douze types et huit variantes pour une aire
comprenant la Méso-Amérique mais aussi les Antilles
et l’Arizona. Cette typologie détaillée qui
combine l’étude du plan et du profil
intérieur des terrains est remarquable.
Il existe trois sortes de plan :
* 1. Le plan ouvert : c’est le plan le plus simple
et le plus ancien. Le terrain comporte deux plates-formes
parall_les (structures latérales A) bordant
l’allée F, et les extrémités sont
ouvertes. Autrement dit, il peut exister une zone terminale G
mais celle-ci n’est pas fermée par une structure
terminale I. On trouve ce plan sur les terrains de Uxmal et de
Palenque notamment
* 2. Le plan fermé en double T : il
présente la m_me forme que les terrains _ plan ouvert mais
poss_de en plus des structures terminales I qui donnent au
terrain la forme d’un double T. Le terrain 2D1 de
Chichén Itzá en est le plus bel exemple.
* 3. Le plan fermé en "palangana" : le plan
rectangulaire est entouré par des murs aux quatre
côtés. Ce plan n’est pas fréquent, sauf
dans l’est du Guatemala o_ ces terrains en "cuvette" se
trouvent en nombre assez important.
Le profil, quant _ lui, correspond _ la partie
intérieure des structures latérales. C’est
une partie tr_s importante car les différences de profil
peuvent _tre _ l’origine des variations du jeu. On
dénombre pour l’aire maya quatre profils
différents qui combinent trois éléments: la
corniche B, le talus C et la banquette D. La corniche B est un
mur vertical dont la hauteur varie entre 30 cm. et 7 m_tres, et
le talus C est une surface inclinée (de 20 _ 80°). La
banquette D est une petite plate-forme de peu de hauteur
présentant deux surfaces : un rebord de banquette E dont
la face peut _tre verticale ou inclinée, et une partie
supérieure plate.
Les quatre profils sont les suivants:
* 1. Banquette-Talus-Corniche : ex. terrain R-11 de
Piedras Negras.
* 2. Banquette-Talus : ex. structure 67 de
Yaxchilán.
* 3. Talus-Corniche : ex. terrains K-6 de Piedras Negras
et A de Copán.
* 4. Banquette-Corniche : ex. terrain 2D1 de
Chichén Itzá.
Les marqueurs sont des pierres taillées,
sculptées ou non, et le plus souvent circulaires. Ils se
trouvent sur l’allée ou bien sur les banquettes ou
talus, parfois m_me sur la partie supérieure des
structures latérales. Néanmoins, c’est au
centre de l’allée que l’on recense le plus de
marqueurs. Des hautes terres jusqu’aux basses terres
centrales, les terrains de jeu de balle comportent tr_s souvent
un marqueur central, seul comme c’est le cas _ Lamanai
(Belize) ou _ los Cerritos-Chijoj (Quiché, Guatemala), ou
associé _ d’autres marqueurs ou sculptures (tenon,
anneaux, panneaux). Dans les basses terres du nord, seul le
terrain du groupe des Nonnes de Chichén Itzá en
comporte.
Le marqueur central
Le marqueur central servait d’autel pour les
offrandes faites lors de l’inauguration d’un nouveau
terrain, ou avant une partie. D’apr_s le témoignage
de López de Gomara "cada trinquete es templo, porque
ponían dos imágenes
del dios del juego de pelota encima de las dos paredes más
bajas, a la media noche de un día de buen signo, con
ciertas ceremonias y hechicerías, y en medio del suelo
hacían otras tales, cantando romances y canciones que para
ello tenían (…)". La présence de caches sous le
marqueur central de certains terrains corrobore le
témoignage de López de Gomara. Ainsi, sur le
terrain H6/2-3 de Toniná, les archéologues ont
trouvé des lancettes d’obsidienne, une roche
volcanique tr_s prisée par les membres de
l’élite, ainsi que des petits objets symboliques, et
sur le terrain AI de Copán, il reste des traces de feu l_
o_ se trouvaient les marqueurs.
Il n’est pas surprenant que de telles offrandes et
cérémonies se déroulent autour du marqueur
central, car il symbolise dans la cosmologie maya le Centre du
Monde. C’était un point tr_s important car il se
trouvait _ l’intersection des quatre secteurs du plan
terrestre et des trois niveaux cosmiques, c’est _ dire le
Ciel, la Terre et l’Inframonde. A cet endroit se dressait
un arbre sacré, un ceiba, dont les racines
pénétraient profondément dans le sol et dont
les branches traversaient le ciel. L’utilisation d’un
arbre comme image de l’axe du monde n’est pas propre
_ la culture maya. On la retrouve dans d’autres cultures,
sur le nouveau comme sur le vieux continent. L’arbre est un
symbole cosmique car "il est vertical, il pousse, il pert ses feuilles
et les récup_re, que par conséquent il se
régén_re (il "meurt" et "ressuscite")
d’innombrables fois". Autrement dit, l’arbre
reproduit ce que manifeste l’Univers, en particulier la
"mort" et la "renaissance" des astres. Le ceiba est un arbre
omniprésent dans la culture maya : c’est
d’ailleurs de nos jours l’arbre national de la
République du Guatemala.
Les trois marqueurs du terrain AIIb de
Copán
Le terrain A de Copán est en fait un triple
terrain car il fut reconstruit par trois fois au m_me endroit,
l’emplacement variant de quelques m_tres plus au nord. Si
le premier et le troisi_me terrain possédaient des
marqueurs, ce sont ceux du deuxi_me terrain qui sont les plus
remarquables tant par leur richesse sculpturale et leur bon
état de conservation que par ce qu’ils apportent _
l’étude du symbolisme du jeu de balle.
Ces trois marqueurs quadrilobés de 71 cm. de
diam_tre datent du Classique récent. Il faut les
considérer dans leur ensemble car ils illustrent "les
trois actes d’un drame cosmique". La sc_ne se
déroule dans l’Inframonde. Tout d’abord, le
marqueur nord sert de prologue : un Seigneur du Monde
Inférieur reçoit l’hommage d’un de ses
coéquipiers. Il s’agit de joueurs car ils portent
une épaisse protection ventrale ainsi que des
genouill_res. Une énorme balle se trouve entre les deux
joueurs, attachée par une corde. Cela rappelle le Popol
Vuh o_ il est mentionné que la balle ainsi que les autres
instruments des joueurs étaient accrochés _ une
poutre du toit de la maison de la grand-m_re. La sc_ne du
marqueur nord ne se déroule donc pas pendant le jeu mais
bien avant une partie. Le marqueur central présente
l’action. Claude-François Baudez pense qu’il
s’agit de la lutte entre le roi copan_que 18 Lapin et le
seigneur du Monde Inférieur du marqueur nord. Les glyphes
se trouvant au dessus de la balle portent en effet le nom de ce
souverain. Mais plus récemment, De la Garza et Izquierdo
ont apporté un éclairage nouveau. Pour elles, la
mention "18 Lapin" ainsi que la t_te de lapin que tient le
personnage de droite font allusion _ la lune et _
Xbalanqué. Le marqueur central représenterait la
lutte mythique entre les seigneurs de l’Inframonde et
Xbalanqué qui se retrouve seul apr_s que son fr_re
Hunahpú se soit fait trancher la t_te par une
chauve-souris. Pour ma part, je pense que ces deux hypoth_ses ne
s’excluent pas l’une de l’autre car il
était fréquent que les rois incarnent les dieux. Ce
qui est certain c’est que cette sc_ne rappelle clairement
le mythe quiché, d’autant plus que la balle, qui
porte les signes de la fertilité et du soleil,
remémore le combat dont l’enjeu était la
renaissance de l’astre solaire. Enfin, le marqueur sud
montre que les forces du mal ont été vaincues car
un joueur rend hommage au jeune dieu du ma_s qui symbolise la
fertilité. Le soleil a pu renaître et permettre le
m_rissement de la céréale.
Les trois marqueurs du terrain AIIb de Copán sont
une métaphore de la lutte que doit livrer le soleil chaque
nuit pour renaître chaque jour, et apporter la lumi_re et
la chaleur nécessaires _ la vie représentée
par le jeune dieu du ma_s. Ces marqueurs témoignent de
l’extr_me relation qui unit, dans le cadre du jeu de balle,
le symbolisme solaire au symbolisme agraire, un peu comme les
deux faces d’une m_me réalité.
Les marqueurs de Tenam Rosario
La structure III de Tenam Rosario (Chiapas, Mexique) est
un terrain exceptionnel en raison des huit marqueurs qui y furent
découverts. J’étudierai dans ce paragraphe
trois de ces marqueurs pour leur bon état de conservation
et leur apport _ l’analyse du symbolisme du jeu de balle :
il s’agit des marqueurs 1 et 2 et d’un marqueur que
Fox appelle marqueur X. Ce dernier se situe _
l’extrémité sud de la banquette
sud-ouest.
Ces trois marqueurs mesurent environ un m_tre dix de
diam_tre, et présentent plus ou moins le m_me motif: un
homme de face se tient accroupi et étire ses deux bras.
Les hommes des marqueurs 1 et X tournent la t_te vers leur
droite, tandis que celui du marqueur 2 la tourne vers sa gauche.
L’homme du marqueur 1 est v_tu d’un pagne auquel est
attachée une t_te de mort aux yeux globuleux. Aux mollets
et aux poignets, il porte de la fourrure et est coiffé
d’un chapeau zoomorphe qui ressemble _ un oiseau. Mais
surtout, il tient dans sa main droite une lance, et dans sa main
gauche une guirlande d’encens. L’homme du marqueur 2
porte des ornements au niveau du nez et de la bouche que Fox
interpr_te comme étant le masque de Tláloc, dieu
que les Mayas appelaient Chac. A la place de la t_te de mort qui
décorait la ceinture de l’homme du marqueur 1,
celui-ci porte un gros disque concentrique. Enfin, il tient dans
sa main gauche trois fl_ches et dans sa main droite une sorte de
fleur. L’homme du marqueur X, quant _ lui, ressemble plus
au personnage du marqueur 1 : il porte deux fl_ches et une
guirlande d’encens. Qui sont ces hommes et que nous
apprennent leurs v_tements et attitude ?
On pourrait penser comme Taladoire qu’il
s’agit de guerriers et que les marqueurs symbolisent la
dichotomie entre la paix (la guirlande d’encens, la fleur)
et la guerre (la lance et les fl_ches). Il est vrai que le
caract_re militariste est présent sur les marqueurs mais
ce n’est pas le seul aspect. Il me semble essentiel de
s’attacher plutôt _ l’image du dieu
Tláloc, divinité aussi importante et complexe que
celle de Quetzalcóatl. Plusieurs des aspects de
Tláloc se retrouvent sur les marqueurs de Tenam Rosario
dont notamment le rituel guerrier avec la guirlande
d’encens et les poignets en fourrure. Mais Tláloc
était surtout connu pour _tre le dieu de la pluie et du
rituel agraire, le dieu de la fertilité en somme. Cet
aspect de la divinité se retrouve dans la position
accroupie des personnages, qui n’est pas fréquente
dans l’art des basses terres mayas et qui est
associée dans l’art méso-américain _
la fertilité, _ la régénération et
aux sacrifices de sang. Les personnages des marqueurs pourraient
_tre des pr_tres incarnant le dieu Tláloc, et non pas de
simples guerriers. Les marqueurs symboliseraient la
fertilité _ travers la double mention du sang,
présente dans le rituel guerrier et dans les
(auto)sacrifices. Le sang étant
l’élément essentiel de la renaissance et du
retour _ la vie, le symbolisme du terrain Tenam Rosario ne
s’orienterait pas dans un sens politique mais porterait au
contraire les signes d’un symbolisme de la
fécondité.
Le marqueur de Chinkultic (Chiapas, Mexique)
Le marqueur de Chinkultic, trouvé dans la
cité voisine de La Esperanza, se compose de deux parties :
une partie centrale mettant en sc_ne un joueur, et une bande
glyphique l’entourant. Le personnage porte un panache de
plumes, une genouill_re ainsi que l’épaisse
protection n° 2. Le joueur renvoie une énorme balle
avec sa jambe droite et tient dans sa main gauche un panneau
glyphique. Un autre panneau glyphique se trouve au dessus de la
balle. Selon Palacios, ce marqueur fait allusion aux astres
lunaire et solaire. Pour le chercheur mexicain, le joueur est en
train d’intervertir les deux disques sidéraux (les
deux panneaux glyphiques), l’un contenant les signes du
soleil, l’autre ceux de la lune. De l_, il en déduit
que le marqueur présente une éclipse de soleil,
événement qui se produit lorsque la lune passe
entre la terre et le soleil, interceptant les rayons lumineux de
celui-ci. Un tel événement eut lieu en effet le 16
juillet 790, l’année que l’on retrouve
inscrite sur la bande glyphique qui entoure le personnage. Aussi,
peut-on penser que le jeu aurait un symbolisme astral et que
joueurs pourraient influer sur le devenir des corps
célestes.
Présentation
Une sculpture _ tenon est une pierre fichée au
moyen d’un tenon dans les talus des terrains de jeu de
balle. Ce type de sculpture est surtout présent dans
l’aire maya (sur la plaine côti_re pacifique et dans
les hautes terres en particulier), mais proviendrait, selon
Parsons, du Mexique central et plus précisément de
Teotihuacán.
La fonction des sculptures _ tenon était de
délimiter l’espace d’action des joueurs,
c’est _ dire le camp de chaque équipe. On trouve
généralement deux sculptures qui déterminent
l’axe transversal central du terrain. Sur les terrains
H6/2-3 de Toniná et AIII de Copán, trois sculptures
se répartissent ainsi sur chaque talus. A guaytán 2
(Progreso, Guatemala), cinq t_tes de serpent ont
été trouvées mais, selon le principe de
symétrie, le terrain devait comporter six sculptures.
Ainsi, dans le cadre du jeu, trois axes transversaux
correspondant _ la ligne centrale et _ la ligne terminale de
chaque camp, étaient marqués par les sculptures _
tenon.
L’iconographie des sculptures _ tenon
Je reprendrai les trois groupes auxquels j’ai fait
appel pour classer les haches : les sculptures zoomorphes, les
sculptures anthropomorphes, et les sculptures
anthropozoomorphes.
Sculptures zoomorphes
Il s’agit du type de sculptures le plus abondant.
Trois animaux constituent l’essentiel des
représentations: le perroquet ou ara, le jaguar et le
serpent. L’ara est un perroquet qui fait partie des oiseaux
les plus beaux et les plus bruyants du monde. Son plumage offre
une variété de couleurs extraordinaire, et
c’est précisément _ cause de cette parure
flamboyante que les Mayas considéraient l’ara comme
le symbole du soleil diurne. Parmi les terrains comprenant une
sculpture en forme d’ara, il convient de citer le terrain
AIII de Copán, celui de la Unión (Honduras) ou bien
dans le département guatémalt_que de Jutiapa les
terrains n° 1 de Asunción Mita y C de Papalhuapa. Le
jaguar est un félin mais aussi une divinité
chthonienne, c’est _ dire du monde souterrain. C’est
pourquoi il symbolisait le soleil noir, le soleil dans sa course
nocturne. Il ne serait pas surprenant que cette assimilation
entre le soleil noir et le jaguar provienne des ocelles de son
pelage qui ressemblent _ des étoiles. Citons les terrains
22-23 et 35-36 de Chalchitan (Huehuetenango, Guatemala), A8 de
Iximché (Chimaltenago, Guatemala) ainsi que celui de
Zacualpa (Quiché, Guatemala). Enfin, le symbolisme du
serpent est tr_s varié, mais l’on peut affirmer
qu’il représente la fertilité et la
fécondité dans la mesure o_ il est l’image
des fluides vitaux comme le sang ou l’eau. On trouve des
sculptures serpentiformes sur les terrains n° 2 de
Guaytán et Asunción Mita, ainsi que sur le terrain
B1 de Mixco Viejo (Chimaltenengo, Guatemala) par
exemple.
Les sculptures zoomorphes renforcent deux hypoth_ses que
j’ai émises précédemment et qui ne
s’excluent pas l’une de l’autre : l’ara
et le jaguar appuient l’hypoth_se du symbolisme solaire du
jeu de balle dans ses deux facettes, diurne et nocturne, tandis
que le serpent témoigne de l’importance du culte de
la fertilité.
Les sculptures anthropomorphes
Les sculptures anthropomorphes peuvent _tre de deux
sortes :
* 1. La sculpture représente seulement une t_te
humaine comme c’est le cas sur les terrains C7 de
Iximché, n° 1 de Guaytán ou de Finca Pompeya
(Sacatepequez, Guatemala).
* 2. La sculpture représente la moitié
supérieure d’un corps humain, c’est _ dire la
partie qui va de la ceinture _ la t_te. Elle est tr_s rare car
seulement deux terrains en comportent. Ils se trouvent tous deux
dans le nord de l’état mexicain de Chiapas : _ Tenam
Puente et _ Toniná (terrain H6/2-3). Ces sculptures sont
connues sous le nom de "captifs" car les personnages ont les
mains attachées dans le dos.
L’exemple de Toniná est plus
intéressant que celui de Tenam Puente pour deux raisons.
Tout d’abord, le terrain de Tenam Puente ne poss_de que
deux "captifs" dans l’axe transversal central, alors que le
terrain de Toniná en compte six. Mais surtout ce dernier
terrain poss_de d’autres éléments sculpturaux
comme trois marqueurs d’allée et six panneaux qui
figurent le bas du corps manquant. Pour bien comprendre et
analyser ces sculptures _ tenon, il est important d’avoir
une vue d’ensemble de tous ces éléments du
terrain.
Le marqueur central représente un dignitaire
assis en tailleur qui tient une barre cérémonielle
dans les mains. Je pense qu’il doit exister un lien entre
les "captifs" et ce personnage. Tout le probl_me réside
dans l’identité de ces "captifs". Qui sont-ils ? Des
joueurs ? Des prisonniers de guerre ? Des victimes sacrificielles
? J’écarterai l’hypoth_se des joueurs car rien
dans leur tenue ne rappelle les v_tements que portent les
joueurs. L’hypoth_se de prisonniers m’apparaît
plus plausible en raison du climat politique dans les
régions du bassin de l’Usumacinta durant le
Classique récent. Des cités mayas comme Palenque ou
Yaxchilán perdirent de leur influence, et d’autres
cités contrôlées par de nouvelles dynasties
prirent leur essor. Parall_lement, s’accentua un processus
de décentralisation de l’organisation politique
maya, c’est _ dire que le pouvoir et
l’autorité se répartirent entre diverses
cités _ l’instar du syst_me féodal
médiéval. Cette situation politique engendra de
nombreux conflits aux niveaux local et régional. De plus,
Toniná se trouve dans une région charni_re entre
les peuples mexicains et les populations de la péninsule
du Yucatán et du coeur du Mayab. Aussi, j’estime que
les "captifs" sont des prisonniers de guerre et que le dignitaire
du marqueur central est le roi de Toniná qui
régnait en 775 apr_s J.C. comme l’indique la date
inscrite sur le marqueur.
Il reste _ se demander pourquoi ces sculptures se
trouvent sur le terrain de jeu de balle. Le jeu en lui-m_me est
l’expression d’une lutte, d’un combat o_ deux
équipes s’affrontent pour gagner. Cette idée
est donc proche des principes de la guerre. Le terrain de jeu de
balle me semble _tre – du moins _ Toniná et _ Tenam Puente
– un "forum politique" pour reprendre l’expression de
Vernon Scarborough. Le jeu permettrait de régler un
conflit et serait un substitut _ la guerre, en m_me temps
qu’il éviterait une effusion de sang inutile : seule
l’équipe perdante serait faite prisonni_re et
éventuellement sacrifiée. Certains
témoignages de l’histoire mexica confirment ce
caract_re militaire ou guerrier du jeu de balle. Pour
éviter une nouvelle guerre, le roi de Tenochtitlán,
Axayácatl (1468-1481), et le roi de Xochimilco
décid_rent de mettre en jeu, durant une partie, certaines
terres et propriétés leur appartenant, notamment
les lagunes et le marché pour le roi de Mexico. Mais le
roi mexica perdit et, mauvais joueur, fit massacrer son
adversaire pour s’emparer de ses terres.
Sculptures anthropozoomorphes
Eric Taladoire se demande si les sculptures que
j’appelle anthropozoomorphes n’étaient pas
l’image d’hommes porteurs de masques. En
l’état actuel de la question, il est difficile de
répondre. Cependant, il est vrai que ces sculptures
représentent des joueurs d’équipes
différentes, arborant un masque pour se distinguer
visuellement. Elles rappellent aussi les cél_bres
"guerriers-jaguars" et "guerriers-aigles" mexicas, mais aucun
lien direct ne peut _tre établi en raison de la
réalité chronologique. Elles font penser
plutôt aux autels olm_ques. Ce sont de grands blocs de
pierre rectangulaires qui présentent une niche au milieu
d’o_ émerge un personnage assis. La niche est en
fait la gueule d’un jaguar qui représente la sortie
du monde souterrain. Une t_te humaine qui sort de la gueule
d’un animal symbolise donc l’apparition de la vie et
de l’homme depuis les profondeurs du monde terrestre.
Notons enfin que ces sculptures sont localisées
essentiellement dans les hautes terres et sur la plaine
côti_re du Pacifique. C’est _ Kaminaljuyú
(Guatemala, dept) qu’elles sont les plus fréquentes,
on peut y voir d_s lors une influence du Mexique central et de
Teotihuacán en particulier.
Les anneaux ou tlachtemalacates en náhuatl font
partie des sculptures _ tenon, mais étant donnée
leur forme particuli_re et leur importance, il apparaît
judicieux de les étudier _ part. Les anneaux sont de
lourdes pierres circulaires _ tenon, percées en leur
milieu d’un trou de diam_tre variable et encastrées
dans les talus des structures latérales. Peu nombreux, ils
se localisent essentiellement dans les basses terres du nord, _
Uxmal, Chichén Itzá, Cobá (Quintana Roo,
Mexique) et Hochob (Camp_che, Mexique)
L’origine des anneaux
Les anneaux se trouvent sur des terrains appartenant _
des centres situés dans la péninsule du
Yucatán. Ils datent de la fin du Classique récent
et du début du Postclassique ancien, époque durant
laquelle cette région maya reçut l’influence
des différentes cultures mexicaines (on trouve des anneaux
_ Tula et sur le terrain n° 1 de Xochicalco). L’origine
de cet élément du jeu est plus ancienne et remonte
_ l’époque préclassique. Felipe Solís
Olguín y a consacré une excellente étude et
est arrivé _ la conclusion suivante. Les anneaux tels que
nous les connaissons dans la péninsule du Yucatán
et dans d’autres régions mexicaines proviennent de
la fusion de deux éléments : d’un
côté, les st_les verticales comme celle de La
Ventilla, et de l’autre, les sculptures _ tenon horizontal
caractéristiques du Classique, et que nous retrouvons sur
plusieurs terrains méso-américains. Le centre de
l’élément discoidal de la st_le se perfora
peu _ peu et l’on obtint l’anc_tre de l’anneau
_ tenon. Mais c’est la généralisation du jeu
de balle pratiqué sur un terrain et l’importance
accordée aux sculptures _ tenon horizontal qui firent que
l’usage d’un anneau _ tenon horizontal se
répandit.
Certains chercheurs émettent l’hypoth_se
que des anneaux en bois ont existé, mais qu’en
raison du matériau périssable dans lequel ils
étaient fabriqués, il n’en reste plus trace.
Il est vrai que dans le Popol Vuh, l’anneau fait partie des
instruments transportables des joueurs au m_me titre que la
balle, et que sur de nombreux terrains se trouvent des trous
susceptibles d’accueillir le tenon d’un anneau. Je
consid_re que cette hypoth_se est tout _ fait recevable bien
qu’aucune preuve archéologique ne vienne
l’étayer pour l’instant.
La fonction des anneaux
La mise en place d’un anneau de pierre, qui
était la derni_re chose que l’on posait sur un
terrain, faisait l’objet de cérémonies
particuli_res. Le pr_tre Toribio de Benavente, plus connu sous le
pseudonyme de Motolinia, nous relate ainsi cette
cérémonie :
"Acabado de hacer y encalar, un día de buen
signo, a la media noche, ponían el corazón al
juego de ciertas hechicerías y ponían en el medio
del juego y en el medio de las paredes estado y medio
alto a la parte de dentro unas piedras poco menores que piedras
de molino (…). Esto hecho, por la ma_ana adornaban dos idolos
(…), y luego los cantaban allí delante y
decíanles sus cantares (…)".
Les anneaux, comme les marqueurs, les panneaux et les
sculptures _ tenon avaient une fonction matérielle,
c’est _ dire qu’ils marquaient la ligne centrale du
terrain et délimitaient les deux camps. De plus, ils
servaient de buts pour les joueurs. Les chroniqueurs
s’accordent sur ce point, cependant on est en droit de se
demander si mettre la balle par le trou de l’anneau
était possible. En effet, la balle était tr_s
grosse et le trou assez petit. En outre la position de
l’anneau sur les talus rendait la chose difficile et les
joueurs, qui ne devaient pas toucher la balle avec les mains et
les pieds, ne pouvaient pas viser juste. Les chroniqueurs ont-ils
bien assisté _ cet exploit ou l’ont-ils simplement
entendu raconter ? Pour ma part, je reste sceptique vis-_-vis de
cette information, et je consid_re que si cela pouvait arriver ce
n’était que le fruit du hasard et d’une
incroyable chance.
Toujours est-il que les chroniqueurs rapportent que le
joueur qui mettait la balle par l’anneau correspondant _
son équipe, en plus de faire gagner la partie _ son camp,
avait le droit de s’emparer des "capes" des spectateurs :
"El que emboca por allí la pelota, que por maravilla
acontece, porque aún con la mano hay bien que hacer, gana
el juego, y son suyas, por costumbre antigua y ley entre
jugadores, las capas de cuantos miran como juegan en aquella
pared por cuya piedra y agujero entró la pelota, y en
otra, que serían las capas de los medios, que
presentes estaban".
Le symbolisme des anneaux
Le nombre d’anneaux étant particuli_rement
réduit dans l’aire maya, il est impossible de
trouver un th_me iconographique dominant, d’autant plus que
certains anneaux ne sont pas sculptés comme ceux de la
structure 17 de Cobá. Je n’aborderai donc ici que
les anneaux de Uxmal et du terrain 2D1 de Chichén
Itzá.
Le centre yucat_que de Uxmal poss_de deux terrains de
jeu de balle tr_s détériorés mais les
anneaux ont été relativement
préservés. Le grand terrain de Uxmal
présente ainsi deux anneaux de un m_tre de diam_tre
décorés _ base de glyphes calendariques mayas. Ils
portent la date de 649 apr_s J.C. mais, comme le souligne
Marquina, il s’agit d’une date tr_s ancienne qui fait
s_rement référence _ un événement
antérieur _ la construction du terrain et des anneaux.
Peut-_tre faut-il y voir la date de la fondation de Uxmal ? Le
petit terrain, quant _ lui, n’a donné qu’un
seul anneau, le deuxi_me ayant disparu. Mais ses
caractéristiques, uniques dans toute la
Méso-Amérique, compensent largement ce manque. Cet
anneau, qui ressemble fortement _ une sculpture _ tenon
anthropomorphe, représente une t_te humaine avec des yeux
énormes. Le nez tr_s grand rejoint la bouche
allongée afin qu’ils se touchent et laissent un
espace circulaire entre eux et les joues. La forme de cet anneau
est exceptionnelle.
Les anneaux du terrain 2D1 de Chichén Itzá
sont décorés par deux serpents entrelacés
représentant la Xiuhcóatl, serpent qui conduit le
soleil dans son cours. C’est un symbole solaire qui
rappelle Kukulcán-Quetzalcóatl, "la serpiente
emplumada". Certains chercheurs ont voulu voir dans ces anneaux
l’ouverture de la terre par laquelle disparaît le
soleil quand il se couche. Je n’adh_re pas _ cette
hypoth_se car, comme le souligne justement García Blanco,
les anneaux devraient _tre horizontaux et non pas verticaux. Je
crois plus facilement que les anneaux seraient une
représentation du sexe féminin en raison
d’autres éléments iconographiques que je vais
étudier dans le chapitre suivant.
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